1 - Un cruel dilemme

Pathologie islamophobe et thérapie laïque.
 

Si les mots ont un sens, l’islamophobie est une maladie. Il est surprenant que cette pathologie soit revendiquée, comme légitime, par des gens très divers, depuis l’extrême-droite assumée jusqu’aux intellectuels de gauche les plus reconnus.

La première surprise vient donc de la confusion, que le mot lui-même soit revendiqué ou récusé, entre islamophobie et rejet intellectuel et réfléchi de l’islam. Car on a le droit, heureusement, dans notre démocratie, de rejeter l’islam, ou toute autre religion, ou l’athéisme, ou toute idée ou opinion que nous ne partageons pas, y compris la démocratie elle-même. On a aussi le droit de manifester ses opinions, même néfastes. Mais il y a manière et manière d’exercer ce droit, et la phobie n’est pas la plus légitime, car elle signifie une haine inconditionnelle et, pour tout dire, plus viscérale que cérébrale. Il est bien difficile d’y faire la part, toujours possible plus ou moins inconsciemment, de la xénophobie et du préjugé. Personne n’en est à l’abri.

Et arrive la seconde surprise : les islamophobes se réclament de la laïcité. Même sans être un inconditionnel de la loi de 1905, on peut y reconnaître, dans ses deux premiers articles au moins, le manifeste de la laïcité française. Or on y lit que la République garantit le libre exercice des cultes. Pour le moins, cela interroge sur les rapports, forcément conflictuels, entre l’islamophobie et la laïcité des institutions.
Je traite ailleurs de la loi de 1905, en un article d’ordre historique (chapitre 4 : « Histoire et avenir de la laïcité »), et encore ailleurs de l’application à l’islam de ses principes (chapitre 3 : « Le voile islamique : Ubu roi »).

En tout cas, il est impossible de se réclamer à la fois de l’islamophobie et de la tolérance, qui est la laïcité des individus.

Cela pose les questions éthiques suivantes :
- la tolérance a-t-elle des limites légitimes, et lesquelles ?
- l’islam est-il au-delà de ces limites ?
- si oui, comment gérer les musulmans ?
- si non, peut-on intégrer l’islamophobie dans la laïcité ?

Je propose de la tolérance la définition suivante : faire comme si ceux qui ne pensent pas comme moi sont aussi intelligents et sincères que moi. Cela ne préjuge aucunement de l’acceptation des paroles ou des actes. Les francs-maçons considèrent la tolérance comme une vertu, car ils sont toujours en recherche de la vérité. Les croyants ont plutôt tendance à la voir comme un défaut, puisqu’ils croient savoir ce qu’est la vérité. Selon Joseph de Maistre, référence du pire intégrisme, la tolérance est une "indifférence stupide".
Je vois en outre deux limites légitimes à la tolérance, deux vices de la pensée qui la rendent elle-même intolérable :
- D’une part, l’erreur manifeste, qu’elle soit tromperie volontaire ou crédulité ignorante. Il est permis, ça va de soi, de lutter contre l’ignorance et la superstition, et plus encore contre ceux qui les provoquent, les entretiennent, en profitent. Les astrologues, les créationnistes, entrent par exemple dans cette catégorie à combattre.
- D’autre part, les idées haineuses et incitatrices à la violence : les fanatismes et les intégrismes.

Ces deux frontières sont parfois difficiles à discerner. Elles sont partiellement subjectives. Et pour examiner si elles s’appliquent à l’islam, et seulement à l’islam, il sera de bonne méthode de comparer avec ce que notre société accepte des autres religions et idéologies. Et singulièrement du catholicisme, religion majoritaire et pour laquelle a été conçue la loi de 1905. Mais le marxisme est aussi un exemple possible d’une pensée socialement reconnue qui pourtant prône la violence, et qui suscite des réactions violentes en retour.

Il faut donc ici se demander si l’islam, d’une part, est, plus que les autres systèmes de pensée admis dans notre société, une construction menteuse et superstitieuse, et d’autre part s’il appelle plus que de raison à la violence.

Mais, comme pour les autres systèmes, il faut aussi s’interroger sur ce qui est inhérent, essentiel, à l’islam, et ce qui n’est que déformations, dérives, interprétations. Le stalinisme ne condamne pas le marxisme. L’inquisition ne condamne pas le catholicisme. La Terreur ni le colonialisme ne condamnent la République. Il sera donc de bonne méthode de comparer les doctrines, mais aussi les pratiques.

Or, ce sont des points où il est bien imprudent de répondre sans savoir, et surtout en croyant savoir. Combien de contempteurs de l’islam ont lu le coran et le hadith ? Combien citeraient sans erreur les six articles de foi et les cinq pratiques rituelles d’obligation qui sont communs à tous les musulmans ? Et pourtant, que d’affirmations péremptoires sur ce qu’est l’islam ! Même les ennemis a priori de l’islam ne devraient pas pouvoir nier qu’il faut connaître son adversaire pour mieux le combattre.

Pour une approche de l’islam, je propose un chapitre 5, intitulé : "l’islam existe-t-il ?" Qu’il suffise ici, provisoirement, et pour se poser les questions sur le seul plan éthique, de signaler la très grande diversité des islams, diversité de doctrines, diversité de pratiques, diversité de mœurs. De rappeler les mutations historiques des islams qui se sont succédé. De souligner aussi qu’il y a en islams un grand risque de confusion entre ce qui est proprement religieux et ce qui est sociétal. Cette confusion, entretenue par les extrémistes, est comme dans toute religion ce qui fonde l’intégrisme. Et c’est la fonction des intellectuels que de savoir faire la différence.

On verra ailleurs que l’islamophobie repose sur une caricature salafiste de l’islam, et renforce en miroir l’islam salafiste, de manière que chaque adversaire donne raison à l’autre. La logique de cette opposition est celle d’une escalade mortifère, dans laquelle les extrémistes veulent entraîner les modérés.

Mais supposons d’abord, avec les islamophobes, que l’islam soit intolérable. Faut-il le mettre hors la loi ? Que faire du milliard et demi de musulmans de par le monde, et, singulièrement, que faire des centaines de milliers de musulmans en France (plusieurs millions même de culture musulmane) ? On voit bien que la réponse ne peut être que totalitaire, et qu’elle signerait la fin de la prétention française à la laïcité. Les islamophobes au nom de la laïcité tuent la laïcité au nom de l’islamophobie. Si donc ils ont raison « intellectuellement », ils doivent tout de même aussi tirer les conséquences pratiques de leur opinion. Et ne pas se réclamer de valeurs démocratiques ni humanistes.

A titre de comparaison, il sera utile de rappeler ce qu’était l’Eglise catholique en 1905, une hydre de superstitions, de manipulation, de morale rétrograde, d’intolérance militante et haineuse. C’est pour permettre néanmoins le vivre-ensemble et éviter la guerre civile que fut inventé ce bizarre compromis qu’est la loi de 1905. Au chapitre 4, j’analyse une situation qui présente bien des points communs avec la situation des musulmans de France aujourd’hui. Il est remarquable que certains islamophobes refusent les arguments de la comparaison, tout en affirmant que l’islam est une religion plus violente que les autres, ce qui relève de la comparaison tout en en refusant vérification.

Mais à l’inverse, si la criminalisation de l’islam est erronée, alors, c’est l’islamophobie qui apparaît comme une aberration, et comme une tendance aussi gravement condamnable que la xénophobie et le racisme. Maladie honteuse. Et il serait urgent de travailler à la connaissance des islams et à leur reconnaissance. Voilà un chantier qui attend les intellectuels (de gauche ?) qui se réclament de la laïcité, et les francs-maçons qui recherchent la vérité, étudient la morale et pratiquent la solidarité.

 

Suite (cliquer sur le titre du chapitre souhaité) :

2. Islams et violence.

3. Le voile islamique : Ubu roi

4. Histoire et avenir de la laïcité

5. L'Islam existe-t-il ?

6. Bibliographie et hyphographie

 

 

 

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