MARC  LABOURET

Charognes

(Texte de Charles Baudelaire et photos de Fred Padlab)

 

Char0

Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,

Ce beau matin d'été si doux :

Au détour d'un sentier une charogne infâme

Sur un lit semé de cailloux,

 Strophe 1

Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,

Brûlante et suant les poisons,

Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique

Son ventre plein d'exhalaisons.

 Strophe 2

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,

Comme afin de la cuire à point,

Et de rendre au centuple à la grande Nature

Tout ce qu'ensemble elle avait joint.

 Strophe 3

Et le ciel regardait la carcasse superbe

Comme une fleur s'épanouir.

La puanteur était si forte, que sur l'herbe

Vous crûtes vous évanouir.

 Strophe 4

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,

D'où sortaient de noirs bataillons

De larves, qui coulaient comme un épais liquide

Le long de ces vivants haillons.

 Strophe 5

Tout cela descendait, montait comme une vague,

Ou s'élançait en pétillant ;

On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,

Vivait en se multipliant.

 Strophe 6

Et ce monde rendait une étrange musique,

Comme l'eau courante et le vent,

Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rhythmique

Agite et tourne dans un van.

 Strophe 7

Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve

Une ébauche lente à venir,

Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève

Seulement par le souvenir.

 Strophe 8

Derrière les rochers une chienne inquiète

Nous regardait d'un œil fâché,

Epiant le moment de reprendre au squelette

Le morceau qu'elle avait lâché.

 Strophe 9

- Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,

A cette horrible infection,

Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,

Vous, mon ange et ma passion !

 Strophe 10

Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces,

Après les derniers sacrements,

Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,

Moisir parmi les ossements.

 Strophe 11

Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine

Qui vous mangera de baisers,

Que j'ai gardé la forme et l'essence divine

De mes amours décomposés !

 Strophe 12

 

 

 

 

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