MARC  LABOURET

Les légendes

des jetons et médailles maçonniques

selon  Dominique Giles

Quinze ans avant le début de mes propres recherches, Dominique Giles avait déjà exploré les terres méconnues de la numismatique maçonnique. Je regrette de n'avoir pas connu son travail avant 2020 (par Pierre Morin, à qui je renouvelle mes remerciements). Il aurait peut-être influencé le mien. Pourtant, nos approches diffèrent. Il n'a pas cherché à réaliser un corpus systématique pour le collectionneur ou l'historien, mais à proposer une classification, pour l'historien de l'art.et le muséologue, des pièces et de leur contenu. C'est dire que nos travaux, s'ils se répètent parfois, ne font pas double emploi. Ils se complètent.

 Aujourd'hui, il est temps que je rende hommage à mon prédécesseur. Dans un domaine à peu près vierge, il a réalisé un travail de défrichement exemplaire. Ses nécessaires rappels historiques sont les moins originaux. Mais ses explications et tentatives de classement du contenu des pièces maçonniques sont de précieuses références. Je pourrais citer longuement ses explications des abréviations et des symboles, ses découvertes sur l'origine du répertoire iconographique...

 Dominique Giles dresse une liste avec description de 232 pièèces, qu'il connaît par plusieurs collections, dont celle du GODF et celle de Maurice Cohen qui, entre 1960 et 1980, publia vingt-huit études de jetons maçonniques dans le Bulletin du Club français de la médaille. Cette liste n'a pas prétention à être exhaustive. Elle complète le corpus par trois mièces qui m'étaient inconnues. Elle ne s'arrête pas, comme moi, en 1939. Pour le chercheur qui s'attellera à compléter mon inventaire par les pièces éditées après la Seconde Guerre Mondiale, elle constitue une source à ne pas négliger.

 Ici, je me contenterai de reprendre, presque intégralement, la riche analyse par Dominique Giles des légendes, recherche précieuse des sources qui recèle quelques jolies trouvailles. Je le remercie chaleureusement de m'y autoriser.

 Marc Labouret

 

 

ORIGINES DES LÉGENDES DES JETONS ET MÉDAILLES


Dès le XVème siècle, les légendes des médailles et des jetons furent l'objet des soins les plus attentifs. Le corps de la devise se doit d'être complété et expliqué par un texte  concis et précis. L'exiguïté du support interdit les longs discours. La légende et la représentation imagée sont intimement liées et facilitent la bonne compréhension du jeton et de la médaille. Dans ses « Mémoires des Sages et Royales Oeconomies d’État... ». Sully note la difficulté de leur composition : “ Ce n'est pas chose facile de bien exprimer  tant de conception, de donner dans un corps agréable qui en signifie une partie soit par sa figure, sa nature et ses propriétés en réservant le surplus à de belles et brèves paroles qui aient une bonne cadence. Les graveurs de la Renaissance et leurs successeurs avaient fort bien compris le problème qui se posait à eux et parvinrent à une maîtrise complète de ces difficultés. Sous Louis XIV, l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres confia à des auteurs tels Racine et Boileau l'élaboration de certaines médailles et jetons tant pour les légendes que les corps de devises. Le dessin exécuté par des artistes tels Jean Mauger ou Joseph Roëttiers était soumis à l'approbation de l'Académie. Celle-ci se réservait le droit de modifier les projets s'ils ne correspondaient pas exactement à leurs souhaits. Les délibérations de cette Académie prouvent que de fréquentes corrections étaient apportées et que le moindre détail prenait pour eux une grande importance. Le Roi veillait lui-même de très près à la manière dont son règne était mis en médailles. Il faut préciser que grand amateur, il bénéficia de presque quatre vingt effigies différentes pour ses différentes histoires métalliques. Outre les devises composées au fil des évènements, il en est d'empruntées à deux sources presque inépuisables et où la “ bonne cadencechère à Sully ne pouvait manquer de figurer. Les auteurs classiques latins et les différents livres de la Bible représentaient une énorme pépinière où il était aisé de puiser vers et versets. Comment douter qu'au sein de
cette mine, on ne trouverait pas de phrase qui convienne. Ce qu'avaient fait les médailleurs italiens du XVème et XVIème siècles et les médailleurs français des XVIIème et XVIIIème siècles, les francs-maçons allaient également le faire. Il n'était, bien sûr, pas question de faire trop long aussi les vers de Virgile où les versets de la Bible sont parfois amputés, mais la concision de la langue latine permettait, avec un minimum de mots tirés de leur contexte littéraire, d'obtenir une courte phrase ayant valeur de maxime ou  e proverbe.

(…)

Certains s'étonnent peut-être que les maçons taxés d'anticléricalisme puissent chercher dans la Bible des versets convenant à leur pensée. N'oublions pas qu'une partie de  eur symbolique vient de la construction du Temple de Salomon décrite dans le Livre des Rois et que l'anticléricalisme affiché par certains n'apparut qu'à la fin du XIXème  iècle sous la troisième République. Grands défenseurs des valeurs morales, ils trouvaient dans la Bible bien des références à leur idéal d'amour, d'union et de charité ; nous le verrons plus loin avec les symboles utilisés et les noms ou titres distinctifs des loges. Les légendes choisies pour les médailles et les jetons maçonniques ont presque toutes une portée morale en rapport avec le nom des loges qui les adoptent. Les vers de Virgile et les versets de la Bible sont utilisés tantôt dans leur intégralité, tantôt en partie ou  même légèrement modifiés et adaptés à l'effet désiré. Certaines des légendes que nous rencontrons sur les médailles et les jetons maçonniques figurent déjà dans la  numismatique et ne sont en rien l'apanage des francs-maçons. Nous relèverons d'abord celles qui proviennent de la Bible utilisées telles quelles ou modifiées, puis celles empruntées aux latins.

 

LES LÉGENDES TIRÉES DES TEXTES BIBLIQUES

 

La lumière est fréquemment utilisée par le vocabulaire des jetons maçonniques. Cette lumière s'assimile à la révélation et à la connaissance. La loge de la Constance couronnée adopte pour son jeton un fragment du troisième verset de la Genèse qui relate la création du monde. La légende note simplement les deux mots : FIAT LUX (Que la Lumière soit...) alors que la phrase complète est : Deus dixit, fiat lux et lux fuit (Genèse 1-3). La loge des Imitateurs d'Osiris modifie légèrement le même verset et retient : SIT LUX ET LUX FUIT. Mais s'agit-il vraiment d'une modification ou peut être de l'emprunt à deux éditions différentes de la Bible ?  Le sens reste le même, FIAT LUX et SIT  LUX se traduisant de la même façon.

Les amis bienfaisants à l'Orient de Paris associent la légende POST TENEBRAS LUX à un temple surmonté du soleil. Cette devise avant de figurer sur ce jeton maçonnique orna longtemps les monnaies du Canton de Genève. Elle ne se présente pas ainsi dans la Bible mais semble découler sans ambiguïté du Livre de Job (17-12) : Post tenebras spero lucem (après les ténèbres j'espère la lumière). Les amis bienfaisants à l'Orient de Paris associent la légende : POST TENEBRAS LUX à un temple surmonté du soleil. Cette devise avant de figurer sur ce jeton maçonnique orna longtemps les monnaies du Canton de Genève. Elle ne se présente pas ainsi dans la Bible mais semble découler sans ambiguïté du Livre de Job (17-12) : Post tenebras spero lucem (après les ténèbres j'espère la lumière) 

La loge de saint Alexandre fait également référence à la lumière au travers d'une légende extraite non de la Bible mais de la prière du Credo. Le Credo fut créé lors du 1er  concile œcuménique de Nicée (aujourd'hui Isnik) en 325. Le texte de cette prière prit le nom de “ Symbole de Nicée ”. Eusèbe attribue l'origine de ce Credo au Credo de Église  de Césarée. La légende est ici LUMEN DE LUMINE (Lumière de Lumière). A l'avers ce jeton porte une autre légende : SI FODIERIS INVENIES (Si tu creuses, tu trouves). Cette même phrase se retrouve sur le jeton de la loge le Contrat Social et saint Alexandre d’Écosse. Le catalogue de la collection J.B. Th de Jonghe mentionne un jeton (n°5392) de la loge de saint Charles du triomphe de la parfaite Harmonie de saint Alexandre d’Écosse qui porte la légende : QUAERITE ET INVENIETIS (Cherche et tu trouveras). Cette légende tirée des Évangiles de Matthieu (7-7) et de Luc (11-39) se rapproche par son sens de : SI FODIERIS INVENIES. Il est intéressant de noter que dans ces trois jetons la loge de saint Alexandre est partie prenante et que son attachement à cette phrase et à cette idée reste constant. Cicéron dans son “ De Divinatione ” utilise une formule identique : Fodit, invenit, Div. 7 -134) .Ces légendes figurent sur d'autres jetons maçonniques, ainsi : FIAT LUX se retrouve sur celui de saint Auguste de la parfaite intelligence et :EX TENEBRIS (sic) LUX sur celui de la loge du Point parfait . Sur tous les jetons qui précèdent, le mot « lumière » s'associe à la représentation graphique du soleil ou du triangle rayonnant.

 

Un jeton semble le plus convaincant de l'intimité qui pouvait exister entre le nom même de la loge, la légende choisie et le corps de la devise. Le jeton des Commandeurs du Mont Thabor est un raccourci indéniable de cette notion d'unité. Le corps présente une montagne derrière lequel se lève un soleil rayonnant. Cette montagne ne peut être autre que l'image du Mont Thabor où, dès le IVème et Vème siècles, Eusèbe et saint Jérôme situèrent la Transfiguration du Christ. C'est sur cette montagne que les chrétiens édifièrent trois églises en souvenir des trois tentes que Pierre y voulait installer. Situé en Galilée inférieure, le Thabor est cité dans l'Ancien Testament (Osée 5-1 et Psaume 88-13) mais reste absent du Nouveau. Par ailleurs dans les Évangiles seul saint Jean demeure muet sur la Transfiguration. La Légende du jeton : BONUM EST NOS HIC ESSE (Il est bon pour nous d'être ici) apparaît dans les évangiles de Matthieu (17-4), Marc (9-5) et Luc (9-33). Une aussi grande corrélation entre la légende, le corps et le nom de la loge demeure rare mais facilite les recherches sur l'origine des sources utilisées. Le jeton de la loge saint Jean du désert à Valenciennes respecte lui aussi cette unité. Saint Jean Baptiste et l'agneau sont entourés de la légende : CHARITAS NOS VOCAT (la charité nous appelle). Pour répondre à cet appel, Jean-Baptiste a tout quitté. Paul dans sa deuxième épître aux Corinthiens (5- 14) notait la même idée : Charitas Christ enim urget nos ; CHARITAS NOS VOCAT en est une adaptation très proche

 

Le graveur Coquardon pour la loge des Frères Artistes entoure une lampe à huile allumée du texte : NUPER SUS MODIO NUNC SUPER (naguère sous le boisseau à présent au-dessus). Peu éloignée du proverbe - on n'allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau - cette légende tire ses origines des évangiles de Matthieu (5-15), Marc (4-21) et Luc (11-33). La version de Matthieu semble la plus proche : NEQUE ACCEDUNT LUCERNAM ET PONUNT EAM SUB MODIS SED SUPER CANDELABRUM : dont la traduction est : et l'on n'allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau mais bien sur le candélabre. Mettre la lampe sous le boisseau, c'est dissimuler la vérité ; les maçons bien au contraire tiennent à la rendre visible La loge Saint Michel à l'Orient de Paris complète le corps de son jeton - un serpent tricéphale - terrassé par la foudre tombant du triangle sacré - par la légende : DISPERSIT SUPERBOS (II a dispersé les orgueilleux). Ce fragment de verset (Luc 1-51) appartient au Magnificat. Le verset  omplet donne : « Fecit potentiam in brachio suo dispersit superbos mente cordis sui ». En 1570 le graveur italien Rossi sur une médaille du pape Pie V, commémorant les batailles de Jarnac et de Moncontour, avait utilisé une partie de cette phrase. Autour du pontife agenouillé, les anges dispersent les troupes ennemies. La légende est : FECIT POTENTIA (sic) IN BRACHIO SUO DISPERSIT SUPERBOS. On retrouve également la première partie du verset : Fecit potentiam in brachio suo, sur les monnaies des ducs René et Antoine II de Lorraine - Vaudemont entre 1473 et 1544. L'aspect combatif et vengeur d'un Dieu guerrier servait au mieux les intérêts militaires des papes et des princes de l'époque ; ils y voyaient la caution divine. Cet aspect semble confirmé par la présence de la première partie du verset sur l'épée de François 1er conservée au Musée de l'Armée (Hôtel National des Invalides - Paris). Nous pouvons rattacher à ce groupe de légendes qui puise ses origines dans la Bible et le Credo, celle qui orne le revers du jeton de la loge la Fraternelle de Bolbec. Bien qu'inscrit en français, le précepte : AIMEZ-VOUS LES UNS LES AUTRES est directement tiré de l’Évangile de Jean où il figure sous sa forme latine : « ... et vos diligitatis invicem... » au 34ème verset du chapitre 13. Nous verrons plus loin que l'amitié et l'union, deux valeurs primordiales de la maçonnerie, sont souvent associées à la représentation d'une ruche entourée d'abeilles.

 

LES LÉGENDES TIRÉES DES AUTEURS LATINS


Des auteurs latins, qui fournirent le plus de légendes à la numismatique, Virgile est sans nul doute la figure de proue. Il faut reconnaître que dans l'immensité de son œuvre, véritable puits d'inspiration, Virgile rivalise avec, le « De Natura rerum » de Lucrèce et donne à la littérature avec l'Enéide un poème apte à rivaliser avec l'Iliade et l'Odyssée d'Homère. Il aborde tant et tant de sujets dans son œuvre que celle-ci ne pouvait manquer de fournir aux graveurs sans inspiration ou trop respectueux des Anciens, matière à réflexion. Bien avant les francs-maçons, les médailleurs italiens puisèrent sans retenue dans son œuvre et d'Henri IV à Louis XV les artistes français firent de même.  ertaines légendes furent ainsi employées sur divers jetons et à diverses époques. Le jeton de la loge la Sincère amitié à l'Orient de Rouen présente à l'avers une foi - deux mains se serrant - devant un autel. Le revers explicite ce symbole par la légende : « COEUNT IN FOEDERA DEXTRAE » (ils font alliance). Ce fragment de vers provient de l'Enéide (11-192) où il figure sous une forme subjonctive : Coeant in foedera dextrae dont la traduction plus littérale est : que vos mains s'unissent pour un traité. Le plein accord entre la légende et la représentation de l'avers qui se complètent est donc respecté 

L’Orient de Versailles comptait entre autres loges celle des Militaires réunis composée exclusivement de soldats. Les loges militaires se constituaient au gré des casernements et des déplacements de guerre. Le jeton des Militaires réunis porte la légende : UNO AVULSO NON DEFICIT ALTER (au rameau coupé succède un autre rameau). Ce texte original, modifié et écourté sur ce jeton, est emprunté au passage dans lequel Virgile relate la quête d’Énée parti à la recherchedu rameau d'or. Le vers primitif (Enéide 6-143-144) donne ; ... primo avulso non deficit alter aureus. Vu l'aspect militaire de cette loge, le rameau représente symboliquement le soldat qui une fois fauché pendant la bataille est aussitôt remplacé à son poste par un autre soldat. Nous pouvons rapprocher ce vers de Virgile d'un vers de Victor Hugo extrait des  Contemplations (Aujourd'hui V-III-107) : « Toujours la même tige avec une autre fleur ». La mort du rameau coupé n'engendre pas celle de l'arbre, celle du soldat celle du régiment et celle du maçon la disparition de la maçonnerie. La disparition d'un élément n'entraîne pas celle du groupe où il prend souche. Sous Louis XIV, Racine avait, pour illustrer un projet de jeton des « Bâtiments du Roi », pressenti l'usage d'un vers tiré de Virgile. Ce jeton ne fut pas frappé mais on rencontre ce vers sur celui de la loge la Ruche. Virgile traite en détail dans les Géorgiques de l'élevage des abeilles et de leur mode de vie. Ici encore l’union semble parfaite entre la dénomination de la loge, la légende de son jeton et la représentation d'une ruche. Le vers de Virgile figure en deux endroits dans son œuvre, dans les Géorgiques (4-168) et dans l'Enéide (1-435). Le vers choisi IGNAVUM FUCOS PECUS A PRAESEPIBUS ARCENT, (l'essaim tient éloigné des ruches le frelon paresseux) sert en fait d'avertissement aux maçons trop peu réguliers dans les réunions des loges. Ce jeton récompensait l'assiduité aux tenues et l'honnêteté dans la vie maçonnique. En plus de sa qualité poétique et de son rapport à la loge, ce vers a valeur de conseil et de précepte.  Le jeton du Grand Orient de Paris ne porte aucune mention de loge. La présence des tables de la Loi et de la Justice tenant  a balance sur ses faces laisse pressentir qu'il pourrait s'agir de la loge Thémis mais nous n'en avons pas trouvé la confirmation. La légende : ARS AEQUI ET BONI (l'art du juste et du bien) parait extraite du Digeste de Justinien publié en 533. On y trouve la définition suivante : Jus est ars aequi et boni, qui correspond aux représentations graphiques de l'avers et du revers et tendrait à prouver l'attribution à la loge Thémis

 Nous terminerons ici par une légende dont on ne peut prétendre avec certitude qu'elle soit empruntée aux auteurs latins. La loge Père de famille d'Angers inscrit sur son jeton : NON SIBI SED SUIS (non pour lui mais pour les siens). Cette expression qui a valeur de proverbe se rencontre dans de très nombreux textes. Le titre distinctif de la loge : Père de famille permet le rapprochement avec une phrase de Cicéron (De Republica 2-45) : ut non sibi, sed soli natum meminerit, sed patriae, sed suis. La traduction - en sorte qu'il se souvienne être né non pour lui seul, mais pour sa patrie, mais pour les siens - s'adapte très bien au rôle du père et se trouve renforcé par la légende de l'avers : LABORIS FULCIMENTUM. L'allégorie graphique de la famille montre un coq et une poule veillant sur leur progéniture.

 

LES LÉGENDES COMPOSÉES


Toutes les légendes latines ne proviennent pas d'emprunts aux textes anciens et si certaines n'apparaissent que sur des jetons maçonniques, d'autres figuraient sur des jetons profanes. Certaines devinrent des devises maçonniques correspondant à divers grades et rites. Les maçons en composèrent aussi pour leurs jetons et médailles. Elles semblent discernables par leur aspect « thème latin ». Souvent sans grande originalité, dénuées de poésie et impossibles à scander, elles accumulent les fautes d'orthographe  t de syntaxe. Dans le pire des cas, le latin utilisé fait plus « cuisine » que classique. Impossible pourtant d'être catégorique car la pratique répandue de l'amputation des textes  riginaux et de leur adaptation rend difficile une assertion définitive. Trois devises répandues dans les hauts grades du Rite Écossais Ancien Accepté figurent sur les jetons et médailles maçonniques. Utilisées aussi sur les sceaux, les bijoux et autres décors elles ont en plus valeur de symbole. Au 30ème degré la devise adoptée est : Nec plus ultra. Nous l'avons trouvée sur un seul jeton : celui de la loge les Sept Écossais réunis. Le 30ème degré porte le nom de Grand Élu Chevalier Kadosh ou Chevalier de l'Aigle Blanc et Noir. Ce jeton présente à l'avers l’aigle bicéphale couronné au revers dans l’Ouroboros les initiales N.:.P.:.U.:.30ème. La Fable raconte qu'Hercule se croyant parvenu aux  limites du monde aurait gravé, sur les monts Calpe et Abyla (détroit de Gibraltar), ces trois mots : Nec plus ultra, rien au-delà pour signifier que plus rien n'existait au-delà des Colonnes auxquelles son nom resta attaché dans la mythologie. Le rite du 30ème degré est constitué par l'échelle des Kadosh ; l'initié doit parvenir en haut des sept échelons et les redescendre à la suite d'un enseignement symbolique. Ce même jeton porte une seconde devise à l'avers sous les serres de l'aigle : ORDO AB CHAO (l'ordre né du  chaos). Cette devise habituellement en usage au 33ème degré fut composée par le Suprême Conseil de Charleston. La première mention écrite remonte au 1er février 1802 dans la patente accordée par De Grasse-Tilly : « Ordo ab chao » fait référence à la réorganisation qui succéda au trouble du Rite écossais durant le XVIIIème siècle.

La devise : DEUS MEUMQUE JUS (Dieu et mon droit) appartient au 33ème degré du même rite et figure en bonne place sur la médaille du Suprême Conseil associée à l'aigle bicéphale.

La loge la Constance de Paris présente elle la devise du 1er degré du Rite Écossais Rectifié, Adhuc stat (elle tient toujours) sous une forme future : ADHUC STABIT. Cette  devise demeure associée au fût de colonne brisée.

Parmi les légendes spécialement composées pour des jetons maçonniques, nous pouvons retenir trois d'entre elles. Les deux premières ont valeur de sentence, la troisième précise davantage le titre distinctif de la loge. 

La loge des Neuf sœurs, à laquelle appartiennent entre autres Franklin et Helvétius, choisit pour son jeton la légende : SI VIRTUS ABSIT NIHIL IPSA SCIENTA PRODEST (Si le courage s'éloigne, rien même la science ne sert). Dans le même esprit, le Patronage des Orphelins adopte : NISI EST UTILE QUOD FACIMUS, STULTA EST GLORIA (si rien de ce que nous faisons est utile, vaine est la gloire). Sur le jeton de la loge les Élèves de Minerve nous pouvons lire : ILLOS AD VERAM LUCEM SAPIENTIA DUCIT (La Sagesse les conduit à la vraie lumière). L'avers du jeton représente le bouclier de Jupiter que Minerve portait le plus souvent. L'égide décorée de la tête de Méduse pétrifiait l'ennemi sur place. La notion de « vraie lumière » définit en maçonnerie non seulement la révélation mais aussi la datation choisie par rapport à la construction du temple de Salomon L'année 1800 des profanes devient l'année 5800 de la vraie lumière pour les maçons.


D'autres jetons maçonniques portent des légendes utilisées également sur des jetons profanes. Ainsi celui de la loge de Dieppe les Cœurs Unis nous donne la légende : VIS UNITA FORTIOR qu'on retrouve en 1629 sur un jeton de Bruxelles (Feuardent 14265). La légende : CONSTANTIA MERUERE LUMEN, figurant sur un jeton maçonnique de Lille (Feuardent n° 7325 a - Loge des Amis réunis - apparaît dès 1726 sur un jeton du corps de ville de Valenciennes. 

Mais les légendes latines ne sont pas seules sur les jetons maçonniques et celles en français occupent une grande partie de cette numismatique. On distingue deux grandes classes parmi ces légendes. La première se limite des mots seuls qui reprennent les grandes vertus maçonniques et les valeurs morales primordiales. La deuxième se rattache à l'histoire de la maçonnerie et à la vie du maçon.


VERTUS ET VALEURS


Ces vertus et valeurs se regroupent en trois parties qu'on peut définir comme suit : la relation à autrui, l'esprit de travail et les qualités proches des vertus théologales et  cardinales de l'enseignement chrétien. Le problème de l'autre et l'attention dont est digne chaque être humain, sont les premiers et principaux soucis du maçon. Il se traduit sur les jetons et médailles par des termes spécifiques qui favorisent la compréhension de cet idéal maçonnique. La fréquence sur les jetons de ces valeurs ne permet pas de citer tous les jetons sur lesquels elles figurent. Quelques exemples suffiront. Au sens le plus général nous notons l'Union et l'Humanité, l'Amour et l'Amitié et la Fraternité. La philanthropie apparaît sur le jeton des Amis de la Paix ; la bienfaisance sur celui de la loge du Grand Sphinx et sur celui de la loge de saint Antoine du parfait contentement entre autres. Le dévouement est exalté par l'Union fraternelle de Troyes et la charité par les Écossais inséparables. La clémente amitié cosmopolite choisit de consoler et les Philonomes la tolérance.


Être maçon, c'est aussi travailler en loge. Les médailles d'assiduité et de récompense figurent en assez grand nombre dans la production maçonnique pour que l'esprit de travail soit célébré. Les  termes : science, progrès, travail, régularité et instruction apparaissent souvent. On glorifie le zèle sur le jeton de la loge les Arts et l'amitié, l'assiduité sur celui des Élus d'Hiram et la  ersévérance chez les Héros de l'humanité. Mais le travail maçonnique nécessite aussi le secret et la discrétion comme le conseillent les jetons de Jérusalem des Vallées égyptiennes et la Fidèle maçonne de  Cherbourg. Bien d'autres vertus chères aux maçons telles la vérité, la justice et la foi se retrouvent sur les  jetons. La moralité est requise par les Écossais inséparables, la justice par l'Union fraternelle de Troyes. Les légendes des jetons et médailles maçonniques, qui vantent les  valeurs morales citées, se présentent le plus souvent avec un rythme ternaire. Cet aspect triple ne se limite pas aux seules légendes et nous le retrouvons souvent dans la symbolique maçonnique. Nous retiendrons plus spécialement trois légendes de ce type

  • La loge des Imitateurs d'Osiris en adoptant la légende : FOI - ESPÉRANCE - CHARITÉ cite les trois vertus théologiques. Ces vertus sont celles dont Dieu est l'objet et les  lus importantes pour le salut selon la religion catholique. Il est intéressant de les voir associées à Osiris dieu païen.
  • La même loge pour un autre jeton fait figurer : SAGESSE - FORCE - BEAUTÉ. Ces trois mots désignent en plus de leur valeur intrinsèque les trois piliers du temple qui au rite écossais, doivent être disposés en équerre dans le temple. Dans celui-ci, le pilier Sagesse correspond au Vénérable, le pilier Force au Premier Surveillant et le pilier Beauté au Second Surveillant. Ces trois noms correspondent selon Jules Boucher à trois des Sephiroth de la Kabbale : Chochmah, Geburah et Chesed.
  • Le troisième ternaire, LIBERTÉ - ÉGALITÉ - FRATERNITÉ apparaît sur les jetons et les médailles à la fin du XIXème siècle. Une polémique nourrie par de nombreux ouvrages donna lieu à de multiples rivalités entre ceux qui attribuaient l'origine de cette devise aux maçons et leurs adversaires. Bien que devenue devise au Grand Orient et à la Grande Loge de France, la triade Liberté, Égalité, Fraternité a bien du mal à retrouver ses origines. Certains l'attribuent à la maçonnerie martiniste et prétendent que sa naissance remonte au XVIIIème siècle pré-républicain. Les auteurs s'accordent maintenant à lui voir une origine plus révolutionnaire que maçonnique.
    Nous avons déjà constaté que la maçonnerie, loin de négliger les emprunts à ses prédécesseurs, fait au contraire un abondant usage de ces références.

 

LA VIE MAÇONNIQUE


Les grandes valeurs précédemment citées figurent aussi dans des légendes plus
complètes qui parfois font référence à la vie de la maçonnerie et à celle du maçon. Le
jeton de la loge les Vrais zélés de Chalons sur Saône donne une définition rapide et simple mais non dénuée d'intérêt : CHERCHER LA SCIENCE, PRATIQUER LA VERTU, VOILA TOUTE LA MAÇONNERIE. Ce raccourci bref mentionne, avec les deux termes science et vertu, les deux pôles majeurs de la viemaçonnique et mérite d'être mise en exergue de tout parcours initiatique. Sur ce jeton, la position au 2ème degré du compas et de l'équerre indique qu'il s'agit d'un atelier de compagnons.

 A travers des légendes, on peut noter que l'accent est mis sur l'union que la maçonnerie favorise. La loge de l'Aigle française à l'Orient de Paris et la loge La Constance  Eprouvée d’Évreux adoptent la même légende : ELLE UNIT LES HOMMES. Le jeton des Disciples écossais du Héros de l'humanité traite du même thème avec : LA  BIENFAISANCE LES UNIT TOUS. Une autre formule figure sur celui des Sept écossais réunis : LA DOUCE ET CONFIANTE AMITIE LES UNIT. Nous retrouverons aussi les préceptes d'amour du prochain à travers deux légendes dont l'une : AIMEZ-VOUS LES UNS LES AUTRES de la Fraternelle de Bolbec a déjà été citée. L'autre figure sur un jeton de l'Orient d'Orléans destiné à la loge les Émules de Montyon : FAIRE LE BIEN ET LE BIEN FAIRE. Cette légende s'adapte parfaitement au titre distinctif de la loge puisque le Baron de Montyon (décédé en 1820) fut un philanthrope important.
Les Commandeurs du Mont Thabor insistent sur l'universalité de la maçonnerie avec la phrase : ELLE FERA LE TOUR DU MONDE. La Renommée figurant sur le jeton personnifie en fait l'ordre maçonnique et sa présence sur l'entière surface du globe. Ce thème souvent employé en numismatique parait, entre autres, sur un jeton de Henri II réalisé par Étienne de Laune en 1551. On y voit la Renommée debout sur le monde et embouchant sa trompette ; elle est entourée de la légende : ORBE FANA SUA CIRCUIT (Sa renommée fait le tour du monde).
La recherche de la vérité et de la vraie lumière transparaît nettement sur le jeton de la loge d'Emeth à l'Orient de Paris qui résume son but par ces quelques mots : NOUS  ERONS ÉCLAIRES PUISQUE NOUS VOULONS L’ÊTRE. Cette décision bien tranchée fait aussi figure d'encouragement au travail tant le parcours initiatique est long et ardu

 Un acacia en pleine vitalité et doté de multiples racines complète la légende choisie par la loge écossaise de Jérusalem : POUR LES MAÇONS IL EST TOUJOURS FLEURI. Souvenir de l'assassinat d'Hiram, il est un des arbres les plus symboliques de la maçonnerie. Le rameau que les meurtriers d'Hiram plantèrent là où ils l'avaient enseveli  permit de retrouver sa dépouille. L'acacia est symbole de résurrection et d'immortalité. On le compare souvent au mimosa du désert, le rameau d'or recherché par Énée. La légende adoptée par les Rigides Observateurs nous entraîne au sein même du temple. Trois maillets noués sont entourés de ces mots : ILS NE BATTRONT QUE POUR LA GLOIRE DE L'ORDRE. Les batteries de maillets se pratiquent à l'ouverture et à la fermeture des travaux de loge, lors d'évènements heureux ou lors du rappel d'un frère à l'Orient éternel (batterie de deuil). Les trois maillets représentés sont ceux du vénérable et des deux Surveillants qui exécutent ces batteries.
Une autre allusion à la mort est apportée par le jeton de la loge la Céleste amitié de Rouen qui donne comme légende : LA MORT MÊME NE L'EN A PAS SÉPARÉS (sic) Le lierre bien vivant s'enroule toujours autour des branches mortes de l'arbre sur lequel il s'était installé. Cette « Céleste amitié » est celle qui au-delà de la mort rapproche les frères vivants de leurs frères défunts. Une représentation, une légende identiques servirent au XVIIIème siècle pour un jeton de jeu.

 (…)

 

Extrait de :

Dominique GILES :

LES MÉDAILLES ET JETONS FRANC-MAÇONNIQUES DES ORIGINES A NOS JOURS

Mémoire de muséologie
École du Louvre .

Giles, Dominique -Les Médailles et jetons franc-maçonniques des origines à nos jours. Pagination multiple [335 f.] : ill. Mémoire de recherche approfondie : Paris, École du Louvre : sous la dir. de Josèphe Jacquiot : 1985 – Bibliographie.
Bibliothèque universitaire de l’École du Louvre, Place du Carrousel (Paris 1er) - Tél. : 01 55 35 18 80 -Cote magasin : TH Br 12814