Vézelay, expression de la réforme grégorienne
On a vu que le programme architectural et sculptural de l'abbatiale de Vézelay est d'une grande cohérence thématique (https://marc-labouret.fr/mythologie-chretienne/harmoniques-de-vezelay.html). Il reflète la spiritualité de mépris du monde qui fonde l'idéologie dominante de l'époque de sa construction. Cependant, ce programme, aussi logique soit-il, est tout de même original. Pourquoi ces quelques hommes ont-ils fait ces choix ici ?
Car l'abbatiale romane de Vézelay est la création de trois maîtres d'ouvrage : Renaud de Semur, Pierre et Pons de Montboissier. Tous trois sont petits-neveux de l'abbé de Cluny Hugues 1er de Semur. Les liens de famille contribuent à leur faire supposer une grande unité de vue. Pour comprendre celle-ci, il sera nécessaire de s'attarder sur la vie et l'oeuvre de leur oncle, qui précisément a été l'un des principaux meneurs de la réforme dite grégorienne.
On peut signaler que quatre autres frères Montboissier étaient abbé de la Chaise-Dieu, abbé de Manglieu et abbé de Mozac, enfin archevêque de Lyon... Cet exemple montre que la noblesse du temps attachait la plus grande importance à son salut, et pour être digne de l'atteindre choisissait la voie monastique. La famille de Bernard de Clairvaux en donne un autre exemple.
Tête de moine. Fragment de sculpture inédite trouvée dans une vigne vézelienne. Collection privée.
LES MAITRES D'OUVRAGE
Un choeur a déjà été bâti par l'abbé Artaud et consacré en 1104. A l'époque, la nef carolingienne est probablement couverte en charpente, et elle brûle en 1120. C'est à partir de cettte date que l'abbatiale romane que nous connaissons est édifiée, de manière continue, jusqu'en 1150 environ.
Le programme semble bien avoir été déterminé par Renaud de Semur et Pierre de Montboissier. En 1120, le premier est abbé et le second prieur claustral et écolâtre de l'abbaye. Et probablement le plus « intellectuel » des trois cousins. Des historiens de l'art ont relevé que bien des sujets traités par les sculpteurs de Vézelay semblent recevoir leur inspiration des écrits de Pierre, qui sera surnommé le Vénérable. Celui-ci a pu en concevoir et même en imposer le contenu. Mais ses idées ne sont pas des idées personnelles, on le verra : ce sont celles d'une caste et d'une époque.
Il faut retenir que les phases de conception et de construction correspondent aux périodes où l'abbaye de Vézelay est le plus étroitement associée à Cluny, non seulement institutionnellement, mais encore et surtout par des liens personnels. Or, l'abbaye de Cluny est le centre stratégique de la chrétienté occidentale, étroitement liée aux papes faits ou défaits par elle, creuset des idées qui vont inspirer la réforme grégorienne et bras armé de leur mise en œuvre. Selon Dominique Iogna-Prat et Isabelle Rosé (dans Cluny, onze siècles de rayonnement), « Dans un jeu de miroir saisissanr, Cluny se confond avec Rome, se considérant comme une réduction de l'ensemble de l'Eglise. »
Sous l'abbé Artaud (1096-1106) déjà, Vézelay tisse avec Cluny des liens étroits. Ceux-ci vont devenir intimes avec son successeur, Renaud de Semur (1106-1128). Comme nous l'avons vu, celui-ci est petit-neveu de l'abbé de Cluny Hugues de Semur, qui domine l'Eglise occidentale pendant soixante années, de 1049 à 1109. Après lui, les liens se maintiennent avec Pierre de Montboissier, cousin de Renaud, qui est abbé de Cluny pendant plus de trente ans, de 1122 à 1156 et qu'on nomme en général Pierre le Vénérable. A Vézelay, à part la brève période anti-clunisienne de l'abbatiat de Baudoin (révoqué par le pape Innocent II, ce qui illustre la complicité entre la papauté et Cluny), l'abbé Albéric est nommé par Pierre le Vénérable. Il dirige Vézelay une dizaine d'années. Puis celui-ci est remplacé de 1138 à 1161 par Pons de Montboissier. Dès lors, les deux frères mènent ensemble leurs monastères pendant vingt ans.
Le calendrier est clair : conçue par Renaud et Pierre, l'abbatiale romane que nous connaissons est édifiée pendant ces périodes de proximité familiale entre les trois abbés, de 1120 à 1150. Ces liens peuvent expliquer pourquoi Vézelay s'inspire de la doctrine clunisienne (dite grégorienne). Ils peuvent même contribuer à des parentés stylistiques. En effet, l'abbatiat de Pons débute quand s'achève la grande église de Cluny III. On peut concevoir que les sculpteurs libérés de ce grand chantier se déplacent à Vézelay, éventuellement envoyés par Pierre le Vénérable...
HUGUES DE SEMUR, SA VIE, SON OEUVRE.
Celui qui fut, selon Georges Duby, « sans conteste, en son temps, le guide de la chrétienté », Hugues de Semur, a pu, indirectement sans doute, être la source de l'inspiration du décor de Vézelay. Il faut donc un peu parler de lui, et de Cluny.
Sa famille des seigneurs de Semur en Brionnais est apparentée aux ducs de Bougogne. Hugues est moine à quinze ans, abbé à vingt. Pendant soixante ans, de 1049 à 1109, il dirige l'ordre clunisien. Il est le principal maître d'ouvrage de l'immense abbatiale dite « Cluny III ». Il fait de son abbaye un pôle de la chrétienté dépassant Rome en prestige et en pouvoir. Car, si les abbés de Cluny sont nommés par le pape, ce sont parfois les abbés de Cluny qui font et défont les souverains pontifes. Cluny incarne la stabilité de l'Eglise : pendant l'abbatiat d'Hugues, se succèdent douze papes et antipapes. L'un d'eux, non des moindres, Urbain II, a été prieur de Cluny. Un autre, Gélase II, y est exilé. Un autre encore, Calixte II, y est élu. Hugues est aux côtés de Grégoire VII à Canossa, quand l'Empereur Henri IV, repentant, vient s'humilier trois jours, pieds nus dans la neige...
Le clergé séculier, à tous ses niveaux, apparaît corrompu par la simonie, le nicolaïsme, la débauche (incluant la vie conjugale), la richesse, le pouvoir politique et matériel, les compromissions avec les puissants. En face, le modèle à suivre, qui inspire tout l'esprit de réforme, c'est le monachisme bénédictin, qui inclut l'érémitisme. « Ce couvent n'a pas son pareil (…) pour délivrer les âmes qui sont tombées sous la seigneurie du démon. » (Raoul le Glabre). Le seul remède aux maux du monde mauvais, c'est de se mettre hors du monde. Des historiens marquent même le début du mouvement réformateur par la fondation de l'abbaye de Cluny vers 910... Selon Knowles, les monastères « furent les pépinières d'où devaient sortir, un siècle plus tard, les véritables réformateurs ».
De fait, quand les papes nomment des légats pour les représenter avec délégation complète de leur autorité, ils choisissent Hugues de Semur et Pierre Damien. Non seulement les moines inspirent la réforme, mais eux-mêmes la mettent en œuvre, par exemple en limogeant des évêques pour les remplacer par des moines.
Hugues de Semur est canonisé dès 1120. Ses petits-neveux dirigent alors à la fois l'ordre clunisien et l'abbaye de Vézelay, où ils commencent les grands travaux. Comment son exemple ne les inspirerait-il pas ? Ils étaient leur oncle incarné, aurait dit Francis Blanche...
LA REFORME GREGORIENNE
L'habitude est prise d'appeler « réforme grégorienne » une politique de mise en ordre de la chrétienté, menée par les papes du XIe siècle : Léon IX, Nicolas II, Grégoire VII, Clément III, Urbain II, Pascal II. Cette bataille a atteint son apogée sous le pontificat de Grégoire VII (souverain pontife de 1073 à 1085), mais a impliqué tout autant ses prédécesseurs et successeurs. « Révolution culturelle » selon Florian Mazel, ce mouvement de réforme morale, disciplinaire et administrative affecta non seulement la papauté et le clergé mais toute la société.
L'aspect le plus célèbre de ce combat demeure la lutte politique contre les empereurs et les rois, pour séparer l'Eglise et l'Etat, mais avec la suprématie du pouvoir spirituel de l'Eglise.
- Le conflit avec l'Empire, connu sous l'appellation de querelle des Investitures ne nous intéresse pas directement à Vézelay, mais nous en avons évoqué la conclusion en 1077, à Canossa, en présence d'Hugues de Semur.
- La mise au pas du roi des Francs (on ne dit pas encore roi de France) est d'un autre ordre : il vise à faire respecter les règles du mariage que Philippe 1er a bafouées en répudiant Berthe de Hollande pour épouser la femme de Foulques IV d'Anjou ; Philippe est excommunié par un concile réuni à Autun, entre Cluny et Vézelay, en 1094. Nos bâtisseurs n'ont pu l'ignorer. Peut-être même Cluny était-elle représentée à ce concile.
- Enfin, le litige avec le roi d'Angleterre implique Vézelay, par l'accueil de Thomas Beckett. Le prélat anglais trouve refuge dans un monastère dont on peut penser qu'il partage les mêmes idées politico-religieuses.
Et, avant de voir comment l'ensemble de la sculpture vézelienne a été influencé par la théologie grégorio-clunisienne, notons que les querelles politico-religieuses du temps peuvent aussi avoir suggéré le choix de certains sujets : il y a pour le moins une analogie entre le repentir de l'Empereur à Canossa, ou bien celui du roi de France excommunié, et les chapiteaux qui en montrent des équivalents bibliques : le repentir de Saül, David et Bethsabée, puis le repentir de David. Il est fort probable que l'analogie était consciente : au siècle précédent, déjà, Helgaud de Fleury avait fait explicitement le rapprochement entre le remariage de Robert II le Pieux et celui de David.
L'abaissement des rois devant Dieu (et son Eglise) est aussi représenté au tympan latéral sud par l'adoration des mages.
Quant à eux, les aspects administratifs de la réforme ne concernent l'abbaye de Vézelay que de manière indirecte. Les oppositions, parfois violentes, entre les moines et les laïcs de la petite ville ne remettent pas en cause la domination de l'abbaye. La territorialisation du réseau paroissial vient structurer la population laïque, comme ailleurs, et la placer sous le contrôle d'un clergé séculier organisé et discipliné. Notons que la ville est divisée en deux paroisses seulement. La population habituelle d'une paroisse urbaine à la fin du XIIe siècle est inférieure à 1500, et le plus souvent à 1000 ouailles, là où elle est connue. Vézelay ne doit donc pas dépasser 3000 habitants, au grand maximum, et plus probablement 2000 (François Vogade estime la population à 10 000 habitants, mais cela semble excessif, de même que le nombre de moines qu'il chiffre à 800).
En revanche, les aspects théologiques et moraux de la réforme grégorienne affectent l'abbaye jusqu'à s'y inscrire dans la pierre.
De quoi s'agit-il ? Citons quelques passages significatifs de Florian Mazel.
« Les principes grégoriens apparaissent chez des hommes pour lesquels les péchés du monde sont dus à la fragmentation de l'Eglise (…) et à son appropriation par les puissants. Un tel constat nourrit une double aspiration à l'unité et à la purification de l'Eglise et de la société. Il y a ainsi au fondement de l'exigence réformatrice une conscience accrue du péché (…). Elle place son espérance dans le rôle pionnier que la papauté, aidée par les moines et les clercs inspirés par l'idéal de vie monastique, est appelée à jouer. »
« La réforme se pense comme un retour aux origines, à la « forme de la primitive église », à la communauté des apôtres évoquée dans les Evangiles ou le livre des Actes, au premier monachisme du désert égyptien ».
« Au fondement des principes grégoriens figure la séparation entre clercs et laïcs, considérée comme la condition nécessaire au salut de la chrétienté (…). Cette séparation correspond avant tout à une différence d'états de vie, fondée sur le critère de la sexualité (…). Chez certains réformateurs radicaux (…) cette obsession de la pureté va jusqu'à la diabolisation de la femme et de toute sexualité(...). Dès lors, les laïcs, dont l'état matrimonial est considéré au mieux comme un moindre mal, sont placés en position subalterne, sur le plan éthique comme en matière de salut. »
« Pour les grégoriens, le sacré et de manière générale l'ensemble des échanges entre les hommes et Dieu relèvent exclusivement de la responsabilité des clercs. La valorisation croissante de la célébration eucharistique concourt à renforcer cette conviction... »
Florien Mazel, encore lui, relève que « l'idéologie grégorienne est explicitement présente dans le décor de certaines grandes abbayes. » Il ne cite pas Vézelay, mais la Trinité de Vendôme, où des fresques représentent l'investiture de Pierre, l'envoi en mission des apôtres, l'ascension du Christ, les pélerins d'Emmaüs. « Toutes ces images, dit-il, mettent en scène l'Eglise telle que la voient les grégoriens. » On constate que la sculpture vézelienne reprend amplement les quatre volets de la doctrine grégorienne :
- la mission de l'Eglise,
- l'éloge de la vie érémitique,
- le refus du sexe,
- l'eucharistie.
D'abord, y a-t-il un autre tympan roman qui donne plus d'éclat à la mission des apôtres ? Envoyés par le Christ lors de l'ascension représentée au tympan latéral nord, ils sont investis par lui des dons de l'Esprit-Saint dans la scène exceptionnelle du grand tympan. Là, l'Eglise s'adresse à tous les peuples de la Terre, qu'elle appelle au repentir et au baptême par la voix de Pierre. Notons la présence deux fois de Pierre et Paul, fondateurs de l'Eglise et patrons de Cluny. Leur présence au piédroit ne suffisant pas, ils ont été placés aussi aux pieds du Christ, à un curieux emplacement qui semble rajouté et rompt la symétrie d'ensemble. Mais ils manifestent sans aucun doute l'allégeance à Cluny, et le lien entre l'Eglise apostolique universelle et l'ordre monastique qui s'en veut l'expression privilégiée, voire idéale.
Les pélerins d'Emmaüs, premiers témoins de la résurrection, illustrent certes la mission des apôtres. Mais ils font aussi ici le lien avec l'itinéraire de la conversion, et plus encore avec l'eucharistie : les trois étapes de leur trajet reflètent par analogie les trois moments de la messe : liturgie de la parole, consécration du pain et du vin, envoi en mission.
La vie érémitique est présente au portail central par la figure de Jean-Baptiste, le précurseur, qui vivait au désert en se nourrissant de sauterelles et de miel sauvage. Deux chapiteaux du narthex évoquent sa vie. Les pères du désert, Antoine et Paul, figurent cinq fois aux chapiteaux. Il y a sans doute peu d'églises qui peuvent se targuer de les représenter autant. La répétition est la clé de la pédagogie. Ajoutons-y la tentation de Saint Benoît du temps de sa vie d'ermite, et on peut considérer que le thème grégorien est à l'honneur.
L'eucharistie, on l'a vu, est évoquée au tympan latéral nord. Mais n'y est-il pas aussi fait allusion dans les représentations du repas des pères du désert ? Voire dans la grande voussure du tympan central, où presque tous les travaux des mois concernent le blé et le raisin ? Ces représentations ne sont pas originales à Vézelay, à l'exception des deux médaillons extrêmes de la voussure, où un homme rompt le pain à gauche, un autre boit du vin à droite. Au commencement et à la fin de l'année, l'alpha et l'oméga. C'est peut-être un hasard involontaire. C'est tout de même par le fameux chapiteau du « moulin mystique » que l'eucharistie est le mieux symbolisée.
Enfin, et j'en ai longuement parlé dans l'article « Harmoniques de Vézelay », les chapiteaux sont intarissables sur le thème de la tentation, de la femme tentatrice, du danger de la luxure et de l'éloge de la chasteté. Dans l'esprit grégorien, deux d'entre eux se détachent du nombre pour montrer plus spécifiquement que le monachisme apporte le salut par la renonciation au sexe.
Le premier raconte la tentation de Saint Benoît : celui-ci, ermite solitaire à l'époque, reçoit la visite d'un démon qui lui offre une femme. Benoît la bénit mais va se rouler dans les épines pour vaincre la tentation. Florian Mazel voit dans cette scène une critique du mariage lui-même, dans la mesure où le démon qui présente la femme est analogue au père qui veut marier sa fille.
Le second, non moins pittoresque, conte l'histoire de Sainte Eugénie. Celle-ci s'est fait passer pour un homme afin de devenir moine sous le nom d'Eugène. Sa sainteté l'a hissé.e (sic) à l'abbatiat. Une nommée Mélanie, ayant échoué à séduire l'abbé Eugène, porte plainte contre lui pour tentative de viol. Le chapiteau montre Eugène-Eugénie devant son juge, prouvant son innocence en révélant sa poitrine féminine. La parabole montre que la sainteté demande la renonciation au sexe, à son sexe, quel qu'il soit.
A l'évidence, tous les thèmes théologiques et moraux portés par la réforme grégorienne sont présents à Vézelay. Ils y affirment, selon le mot d'Elie Faure à propos de tout l'art roman, « l'élégance austère, brutale et catégorique d'une caste en possession d'un pouvoir indiscuté, … l'image exacte d'un catholicisme fixé, l'autorité des conciles assise sur le roc. »
UNE CONSTRUCTION ANCREE DANS L'HISTOIRE
Bien sûr, il ne s'agit pas de prétendre que Vézelay a l'exclusivité de représenter l'idéologie grégorienne. Celle-ci n'a pu manquer d'influencer tout l'art religieux de son temps, et peut-être pourrait-on soutenir que tout l'art roman en est issu ! On pourrait penser que c'est à Cluny que le mouvement réformateur monastique devait être le plus et le mieux incarné dans la pierre. Il reste trop peu de la plus grande abbaye de la chrétienté pour le confirmer. Quelques statues d'apôtres ornaient les écoinçons du porche, dont le magnifique Saint Pierre qui est maintenant dans un musée américain. C'est un signe, pas une preuve. La pentecôte de Perse, l'ascension de Montceaux-l'Etoile, paraissent du même esprit, mais sont plus partiels.
C'est donc à Vézelay que la doctrine grégorienne trouve son expression la plus explicite, si parfaite et complète qu'on aurait du mal à la croire involontaire. Mieux encore : la référence à la réforme grégorienne permet de concilier les théories contradictoires sur l'ensemble sculpté de l'abbatiale : la thèse de Marcel Angheben, qui y voit pivilégier l'axe du mal, lequel explique et justifie la présence et l'emplacement des agresseurs et défenseurs de l'Eglise, et celle de Kristin Sazama, qui y voit l'affirmation du pouvoir abbatial. Ces lectures, que Viviane Huys Clavel juge cohérentes mais sélectives, ne sont pas contradictoires. Ce sont plutôt deux angles de vue légitimes et complémentaires d'une conception unique et globale.
L'abbatiale romane de Vézelay est l'oeuvre de quelques hommes bien identifiés, le fruit d'une époque précise à l'extrême, d'une pensée religieuse et sociale explicite et datée. C'est la doctrine du XIe siècle qui est mise en images pendant la première moitié du XIIe. Dans ce siècle où les idées prolifèrent et les sciences se développent, on peut même voir en Vézelay la fossilisation conservatrice des thèmes du siècle précédent (après tout, la mère de Pierre et Pons de Montboissier ne s'appelait-elle pas Raingarde de Semur ? Lol). Dès 1146, en prêchant la croisade sous les murs de Vézelay, Bernard de Clairvaux impose le contraste de ses conceptions différentes. La spiritualité catholique se déplace vers des théories nouvelles, des ordres monastiques nouveaux, une nouvelle architecture, une nouvelle géographie.
Après sa construction, l'iconographie pénitentielle de l'abbatiale pourra fonctionner encore quelque temps, mais ne survivra pas au dégommage des reliques en 1279, ni surtout aux évolutions rapides de la spiritualité catholique : à partir du 4e concile de Latran en 1215, l'Eglise reconnaîtra les voies laïques du salut, et les développera continûment. Le couronnement roman de la colline dite éternelle n'a eu tout son sens que de 1120 à 1150... La religion du XIe siècle s'est perdue dans les sables du temps. On ne peut s'étonner que bien des historiens de l'art s'interrogent sur cet ensemble et peinent à lui trouver une signification tombée dans l'oubli.
Cet article complète le précédent : Harmoniques de Vézelay.
BIBLIOGRAPHIE ET HYPHOGRAPHIE
Comme toujours, j'ai le sentiment de résumer à l'excès, voire de caricaturer. Si j'avais l'ambition d'un travail de qualité universitaire, j'aurais à cœur d'être plus complet. Ce n'est pas le lieu. D'ailleurs, je ne suis pas unversitaire, et cela me permet aussi d'insérer de ci, de là, calembours et contrepèteries. Si néanmoins vous appréciez ma théorie au point de vouloir la compléter, ou si vous voulez la combattre, il vous faudra creuser encore. Les quelques livres qui m'ont ici le plus inspiré sont les suivants.
- Mazel (Florian) : 888 – 1180, Féodalités, Gallimard, Folio histoire, 2019. Indispensable. Pas très agréable à lire, mais d'une grande richesse. Fait le point sur l'état des travaux des historiens, et cite utilement de nombreuses sources d'époque. Du reste, pour régler mes dettes, c''est lui qui m'a donné l'idée de cet article, et l'essentiel de son contenu.
- Knowles (M/D) et Obolensky (D), Nouvelle histoire de l'Eglise, t. 2 : le Moyen âge, Seuil, 1968.
- Palazzo (Eric), Liturgie et société au Moyen Age, Aubier, 2000.
- Foreville (Raymonde), Histoire des conciles oecuméniques, t. 6 : Latran I, II, III et Latran IV, L'Orante, 1965.
- Aubrun (Michel), la Paroisse en France des origines au XVe siècle, Picard, 1986.
- Roux-Perino (Julie) et al., Cluny, coll. In situ, MSM, 2004, 2008.
- Duby (Georges) : Le Moyen âge – adolescence de la chrétienté occidentale 980 – 1140, Skira, 1995.
- Stratford (Neil) et al., Cluny, onze siècles de rayonnement, éd. du Patrimoine, 2010.
https://fr.wikihow.com/cuisiner-des-sauterelles