MARC  LABOURET

D'arche en arche

L'histoire des ponts est pleine de surprises

pont saint espritPont-Saint-Esprit

Cinq siècles avant notre ère, Hérodote, le père de l’histoire, rapporte dans ses récits qu’il existait un pont sur le grand fleuve d'Asie, l’Euphrate. Celui-ci était constitué de piles de pierre et d’un tablier de bois que l’on retirait le soir. Dans son livre I, CLXXXVI, il décrit comment Nitocris fit construire un pont dont les pierres étaient liées ensemble avec du plomb et du fer. Il fut construit, écrit-il, au centre de Babylone : et pour ce faire, on détourna les eaux de l’Euphrate dans un lac artificiel. Au livre VII, il parle d’un pont de bateaux, en construction sur l’Hellespont (détroit des Dardanelles en Turquie) afin de faire passer d’Asie en Europe l'armée perse. Au passage XXXIV : « Ceux du roi chargés de ces ponts les commencèrent du côté d’Abydos et continuèrent jusqu’à cette côte, les Phéniciens en attachant des vaisseaux avec des cordages de lin, et les Egyptiens en se servant pour le même effet de cordages de byblos (écorce de papyrus) Ces ponts achevés, il s’éleva une affreuse tempête qui rompit les cordages et brisa les vaisseaux. »

Comme tout grand érudit, Hérodote cite les constructions importantes replacées dans un contexte historique ; mais rien ne nous empêche de penser que, très tôt, un simple tronc renversé au travers d’une rivière ou d’un torrent, ait été à l’origine d'une réflexion pratique pour l’érection des ponts.

Les Etrusques auraient imaginé la construction des voûtes et auraient enseigné la technique aux Romains. Varron, savant romain, aurait écrit, nous dit M. Jean-Pierre Guiol1 dans un article du " Bulletin de l’académie du Var," que le pont Sublicius construit sur le Tibre, qui est le plus ancien pont de Rome, pourrait avoir été bâti sous le règne du roi légendaire Ancus Marcius, en -640-616 avant notre ère. Ce pont était fait de planches de bois, d'après certaines gravures

Si sous les ponts passe beaucoup d’eau, ils font aussi couler beaucoup d’encre. Historiens, géographes, grecs ou romains, nous ont laissé des traces écrites de leurs ‘’passages’’.

Dans "la Guerre des Gaules", Jules César nous apprend que les Gaulois, à l’approche de ses troupes devant un oppidum (place forte), en sabordaient les ponts. Au livre VII, chap. XI, de son récit, il nous parle de la ville de Génabe (Orléans), au pays de la tribu gauloise des Carnutes. Génabe a un pont sur la Loire. Il cite aussi, sur l’Allier, les ponts rompus à son approche. Au chapitre XV, ce sont les ponts de la ville gauloise des Bituriges, Avarique (Bourges), cité presque entourée de toutes parts d’une rivière (l’Yèvre, le Moulon, la Voiselle) et d’un marais. Au chapitre XIX, il écrit : « Les Gaulois avaient rompu les ponts, et se fiaient à l’avantage du lieu ». Il faut donc rendre aux Gaulois ce qui leur appartient, et reconnaître que les légions romaines du généralissime n’ont pu conquérir rapidement les Gaules que grâce à une "infrastructure" de routes et de ponts déjà établis. La guerre des Gaules se situant entre 58 et 50, 52 étant l'année de la bataille d’Alésia, le tout avant notre ère, les routes et les ponts sur le territoire et bien au-delà étaient déjà tracés. L’archéologie prouve régulièrement que les échanges commerciaux étaient antérieurs à la conquête romaine. Les érudits grecs, et les romains, rapportent déjà ces échanges avant la domination de Jules César. Les découvertes funéraires le prouvent, ainsi que les objets usuels des dépôts d'ordures.

En comparant les récits des belligérants sur les déplacements des troupes militaires, on se rend compte que de tout temps, une armée ne se déplace pas sans une équipe de pontonniers. C'est ainsi que l’on retrouve la construction de ponts de bateaux, racontée depuis les chroniques historiques d’Hérodote plusieurs siècles avant notre ère, jusqu’à la guerre de Corée en 1953. Il y en a certainement dans les mémoires d’autres conflits, mais cela n’est pas notre sujet. Si toutefois les matériaux ont changé, l’idée reste la même, passer !

pont bateaux

Viollet-le-Duc, dans le tome sept de son Architecture, divise son article sur les ponts en plusieurs parties : les ponts de pierre ou de bois fixes, les ponts ‘’torneïs’’ (mobiles), les ponts levis, les ponts flottants, de bateaux, de charrettes ; on peut en citer d’autres, il y en a toute une liste dans le Larousse2 du XIXe siècle, mais notre propos n’est pas non plus de rentrer dans la technique à proprement parler, nous laissons cela aux passionnés du sujet, nous évoquerons plutôt l’Histoire qui nous lie à ces édifices, si utiles et si mal connus.

Quelques narrateurs à la plume romantique rendent hommage à ces constructions avec lyrisme. Les paysagistes des grands parcs, les jardiniers et les peintres, ne manquent pas de les intégrer dans leurs œuvres. Ils reconnaissent en eux la valeur symbolique des arches qui enjambent, et facilitent le passage pour voir d'en haut le mystère des eaux. Le pont protège, soulage de toutes les ardeurs, avec une harmonie qui touche au cœur, porte aux rêves et à la mélancolie. L'imaginaire qu'il génère mêle les vers d'un Apollinaire et la mélancolie d'un Hugo.

Nous avons pu, lors de nos recherches, lire des articles forts documentés sur l’étude des ponts, tous rédigés par des auteurs passionnés. Force est de constater une récurrence admise par tous sur l’importance et la fonction, voire l' impact économique que génère la construction d’un pont.

PICT0346bD’aucuns s’accordent à écrire que les ponts, aux époques de la domination romaine, étaient surtout de bois. L’archéologie subaquatique actuelle ne révèle pas de piliers de pierre, surtout en ce qui concerne des ponts routiers construits avant notre ère. Lors de la campagne de César, en Gaule, les ponts ne pouvaient être qu’en bois, vu la vitesse à laquelle ses charpentiers pontonniers les construisaient. Les autochtones, eux, détruisant les leurs. De plus, tout nous porte à penser que les Romains construisaient surtout des ponts de bateaux.

Lors de l’avancée des troupes napoléoniennes en Russie (entre juin et décembre 1812 ), un chroniqueur raconte la construction d’un pont de bois, érigé avec les planches des maisons des paysans locaux : donc, rien n’empêche de penser que les pontonniers de César aient pu en faire autant…

La stratégie guerrière nécessite de faire avancer et de pourvoir rapidement hommes et bêtes en nourritures et équipements. Les routes et les ponts demandaient un intérêt tout particulier. Pour faciliter les déplacements, ils devaient être défendus, entretenus et améliorés quotidiennement. Cela fut certainement le cas durant la domination romaine, cinq fois séculaire. César fait mention d’un pont jeté sur le Rhin en dix jours. Trois siècles plus tard, l’empereur Julien mentionne dans ses chroniques, des ponts de Lutèce (Paris) qui étaient de bois. Force est de constater que le bois domine.

Les ponts importants sont des places stratégiques, dont les conquérants sont parfaitement conscients, et ce de tout temps. Entrer en leur possession peut faire basculer l'histoire. Nombre de récits de rencontres, d'attentats, de combats se passent sur des ponts. Amédée Thierry, dans ‘’l’Histoire d’Attila et de ses successeurs’’ (t 1, 1856), nous apprend qu’un premier combat entre les légions romaines dAetius et les Goths eut lieu au débouché du pont d’ Orléans. Les Huns furent mis en déroute devant ce même pont. Attila, qui y faisait le siège, décampa silencieusement pendant la nuit, pour aller se faire écraser plus tard dans les Champs Catalauniques3. Le pont est aussi un lieu de rencontre diplomatique ; nombre de traités seront tout d'abord élaborés en ces lieux, le centre de la rivière marquant la zone frontière neutre. Certains récits historiques rapportent l'assassinat de rois, de ducs et autres hauts dignitaires, qui perdront la vie sur ces édifices.

Au XVIIIe siècle, dissertations et controverses nourrissent les discussions quant à l‘emplacement de certains ponts. Depuis bien longtemps déjà, dans les salons ’’branchés’’, il était de bon ton d’alimenter les polémiques. La diffusion de ces détails, somme toute insignifiants pour bon nombre aujourd'hui, avaient pourtant leur importance. Les débats indiquaient l'"appartenance politique " des protagonistes. Selon le chanoine Lebeuf4, l'emplacement du pont désignait à qui incombaient les revenus, les taxes et frais d'entretien de l'édifice. Quelquefois, négligé, il devenait dangereux à toute circulation. Pour certains, peu scrupuleux de la sécurité d'autrui, il restait toutefois une source conséquente de dividendes. Bon nombre de procès alimentèrent l'actualité sur plusieurs générations. Toute polémique était bonne à prendre, en ces temps sans multimédia, et puis, quoi de plus distrayant que de se chicaner en public ? On se fait des adeptes ou des ennemis, que l'on retrouve dans certains cas sur le champ ou devant une cour... On sait aujourd’hui que rien n’est jamais acquis, les sources actuelles montrent que le chanoine s’est souvent trompé. Il faut néanmoins lui rendre hommage, car il a su aiguiser pas mal de passions et donner des pistes pour les chercheurs. Il ne disposait pas des méthodes d’investigation dont nous disposons de nos jours, et le mensonge était de bon aloi dans certaine société, qui s'octroyait des privilèges, dont elle rêvait ou se sentait investie. Les temps ont-ils vraiment changé ?

On trouve, aussi, de cinglantes altercations épistolaires, chez les archéologues et les historiens du XVIIIe, XIXe voire début XXe siècles. Notamment, au sujet des matériaux de construction employés. Une chose est sûre, pendant les cinq siècles d’occupation romaine et même auparavant, des ponts furent construits, réparés et entretenus, surtout ceux qui prolongeaient les routes principales, terrestres et fluviales, et donnaient accès aux bourgs. Avec le brassage et l’implantation d’hommes de cultures différentes, que le temps et les circonstances ont amenés à se côtoyer, on peut penser qu'expériences et connaissances furent échangées. Les méthodes de construction des ponts devaient dépendre des matières premières que l'on trouvait sur les lieux, tout comme pour les bâtiments du quotidien.

gaulois violletAnnées et siècles passant, les ponts en pierre, où même en bois, laissés à l’abandon ou mal entretenus, offraient une mine de matériaux à réutiliser à d’autres fins. Il en fut coutume de tout temps ! Les intempéries, les guerres et autres fléaux, ont fait que nombre d’édifices ont fini en carrière. Les ponts ne furent certainement pas épargnés. Les Gaulois étaient très forts pour construire en associant pierre et bois, comme le démontrent dans leurs écrits Jules César et Viollet-le-Duc. Aujourd’hui encore, on retrouve ce genre d’appareillage mixte dans la construction des hauts murs qui entourent certaines demeures bulgares. Il fut difficile aux archéologues des XVIIIe, XIXe et début XXe siècles de prouver que les matériaux dataient de l’époque gallo-romaine, car les pierres ont pu être réutilisées dans d’autres constructions et leurs moyens étaient moins performants au niveau scientifique qu'aujourd'hui.

Quand la politique territoriale changea, suite aux successifs décès prématurés des empereurs romains, les ponts et les routes subirent les aléas de l'indifférence. Certaines de ces infrastructures, fruits de l'évergétisme84 gallo-romain, avaient été construites et entretenues pour plaire à Rome. Elles furent déclassées, et le restèrent. On peut lire en 1836 dans ‘’Mémoire sur les antiquités du département du Loiret’’ de Jollois5 (pages 20 et suivantes)  : « Dordives est situé à dix-huit kilomètres au Nord de Montargis (Loiret), le pont Gallo-Romain se trouvait sur la voie de Sens à Orléans qui, comme un certain nombre de voies romaines d’importance secondaire, n’est pas mentionnée dans les itinéraires antiques ».

Ce que nous appelons aujourd’hui ‘’la France’’ n’était, entre le Haut Moyen-âge et le Moyen-âge central, qu’une multitude de principautés plus ou moins importantes. L’entretien des routes et ponts ne fut pris en compte que suivant l’intérêt que les autorités locales leur accordaient. Les territoires étaient devenus propriété d'un seigneur ou d'un monarque entre les IVe et VIe siècles.

Toujours est-il que les débats entre Messieurs Colin6, Jollois5, et d’autres, sont assez épiques ! Colin, ingénieur en chef aux Ponts et chaussées, dès 1850, est l’auteur d’un article sur le pont ’’des Tournelles ‘’ à Orléans. Jollois est avant tout archéologue, il a écrit entre autres, l’article sur le pont de Dordives. Deux visions qui ont du mal à se rejoindre, même s'ils sont tous deux polytechniciens. Ce n’était pas une époque de franche collaboration, chacun ayant une place politique à soutenir. L'Eglise, elle, à cette époque, n'est plus la religion d'Etat, elle est plus occupée à redorer son dogme et soutenir une certaine Soubirous, qui vient à point. La France naissante s'offre de nouveaux visages, une identité plus moderne...

Mais il est certain que nombre de ponts furent démolis. Champollion-Figeac , dans son ouvrage ’’Droits et Usages’’ de 1860, cite deux ponts gothiques du XIe siècle, dépendant du château des comtes de Champagne, à Troyes, qui ont été démolis. Le manque d’intérêt entraînant le manque de finance et d’entretien. Les intempéries font que nombre des édifices trop anciens ont dû s’effondrer ou être démolis.

Leur importance dans la vie communautaire et commerciale, qui remonte à l'antiquité tardive (IIIe- IVe s.), font que certains d'entre eux ont été réparés, remplacés, améliorés. Les politiques territoriales et seigneuriales du Haut-Moyen âge (VIe s.), dernier relent de Rome, classent les ponts suivant un besoin avéré pour que ces constructions donnent naissance à un chantier. Au Moyen-âge classique (XIe XIIIe s.), les territoires ayant le plus souvent comme limite la rive gauche ou la rive droite d’une rivière, d’un ru ou d’un torrent, un pont entre deux domaines nécessite une entente cordiale ou une alliance…. Ils sont les témoins de conflits en tous genres, en tous siècles, et d'un nombre incalculable de morts, sans compter les fléaux naturels.

L'entrée dans le tempétueux Moyen-âge , la prise de pouvoir des anciens gouverneurs romains devenus seigneurs, ou monarques, entraînera un certain nombre de modifications administratives. C'est l'époque ou les territoires sont morcelés. Ils deviennent la propriété de familles aristocratiques, par héritage. L'Eglise en acquiert par dons, ou en reçoit l'usufruit. Ces modifications vont encore se compliquer avec le temps ; qui a dit que l'administration simplifiait la vie ?

Quand elles n'étaient pas à l'origine de la construction, bon nombre d'abbayes se sont vu offrir l'usufruit d'un pont, profitant de ses revenus substantiels. Rois ou seigneurs donateurs, après une vie de désordre, cherchaient par ce geste le chemin du repos de leur âme promis par l'Eglise. Depuis l'Antiquité tardive, le christianisme est devenu une religion d'Etat.

Autour de l'an 1000, on voit édifier de glorieux monuments de pierre, tels le pont d'Avignon et les majestueuses abbayes : Cluny, Vézelay, Tournus, Citeaux... Plus modestement, certains seigneurs et bourgeois, aidés par des ordres monastiques, construisent des ponts de bois, moins coûteux. Les années passent, et le faste prédomine ; on peut citer en exemple le diocèse d'Orléans qui, au début du XIIIe siècle, était gouverné par Manassès de Seignelay ; celui-ci fit bâtir deux ponts de pierre sur la Loire, en l'an 1207 ou 08. L'un au lieu-dit "Meung", et l'autre à Jargeau, devaient pourvoir aux commodités de deux châtellenies dépendant des évêques d'Orléans. Il fit construire un palais épiscopal à Meung. Le pont de Jargeau n'existe plus au milieu du XVIIe siècle. Le lit de la Loire fut ramené, à force de travaux de main d'homme, au pied du coteau de Meung, par ordre du roi Henri IV. Ce grand roi était conscient des enjeux économiques que représentaient ponts et cours d'eau. Le pont de Meung fut renversé fin XVIIIe par les glaces de l'hiver 1789. Cet hiver-là sera à l'origine de bien des destructions de ponts sur le territoire. Les caprices météorologiques sont des facteurs importants. Du XIVe au XIXe siècles, l'Euroipe a connu une mini période glaciaire, grands fléaux pour les hommes et les édifices hydrauliques.

Les débats qui ont alimenté les polémiques du XVIIIe et XIXe siècles peuvent nous sembler obsolètes, le temps ne faisant rien à l’affaire. Les techniques changèrent, et les mentalités, elles, prenaient plusieurs ‘’voies’’. Certains ponts furent reconstruits en tenant compte des besoins de sécurité pour les bateaux et les véhicules routiers, qui eux aussi changeaient. On commença à tenir compte de leur taux de fréquentation, consécutif à une nouvelle urbanisation des territoires et un nouveau mode de vie.

pont s yonne 

 

Les ponts, enjeux politico-religieux

Dans la Rome antique, les grands pontifes, hommes politiques et prêtres de haut rang, organisaient l'entretien, les réparations, les cérémonies sacrificielles sur le pont Sublicius, afin que le Tibre ne se réveille pas et protège la cité. Les Hospitaliers, pontifes du XIe siècle, construisaient, eux, pour la grâce de Dieu et les besoins superstitieux qu’entretenait leur dogme.

Bien plus tard, les techniciens et les ingénieurs des Ponts et chaussées, instruits des expériences anciennes, devenaient plus pragmatiques. La corporation, mise en place sous la royauté, dite ‘’des Ponts et Chaussées’', étant récente chronologiquement, puisqu’elle date de 1716. Avant, ce sont les guildes de bourgeois, ou les ordres monastiques, qui défendaient le bien-fondé de la construction de tel édifice auprès du propriétaire des lieux. Il fallait, avant tout, tenir compte des besoins et des conséquences politiques, voire stratégiques, de leurs constructions. Dans certains cas ce pouvait être un véritable défi technique.

Avec le temps, des réflexions par trop prosaïques alimentèrent les débats. Les chroniques que nous citons se passent le plus souvent sous Napoléon III. Ce dernier, friand d’archéologie, cherchait dans cette discipline une légitimité nationaliste, dans un contexte plutôt explosif. Chaque dirigeant d'un pays européen cherchait un ancêtre fondateur dans de lointains passés à la documentation quasi inexistante. Pour les satisfaire, on n'hésitait pas à avoir recours à la mythologie. Cela entraîna les conflits que l’on connaît, et, par voie de conséquence, la prise ou la destruction de ponts (lire ’’Les racines de l’Europe’’, de M. Bruno Dumézil7, ed. Fayard, 2019).

Quand Jollois5 découvre, dans une pile de pont en démolition, des pièces de monnaies datant de l’empereur Julien, il en déduit que les fondations de l’édifice datent de cette époque. Colin6 lui répond par le mépris. Aujourd’hui, Jollois5 serait certainement écouté différemment et mis au-devant de la scène. Quant à Colin6, il serait reconduit à sa table à dessin.

Nombre d’anecdotes soulignent qu'à la cérémonie de pose de la première pierre, pour une construction hydraulique ou autre, les ouvriers maçons exigeaient du dignitaire, qu'il plaçât des pièces de monnaies dans les fondations, et ce, encore à l’époque de Colin6. Ce rituel, émanant d’anciennes coutumes, supplantait l’acte sacrificiel, qui pourtant était encore en usage dans certaines régions d'Europe. Gustave Eiffel en sera témoin, lors de l'inauguration d'une de ses réalisations, au Portugal. De nos jours, c’est le champagne qui remplace le vin ou le sang (voir notre article Les ponts et les dieux).

Les ponts à travers l'histoire

L'archéologue Louis Brugnier-Roure8 écrivait que le premier pont de pierre qui traversa le Rhône, à Vienne, en Dauphiné, remontait à cent soixante-quinze ans avant l'ère chrétienne ; il aurait été construit par Gracchus Tiberius Sempronius.

Tous les chemins mènent à Rome, il suffit de passer le pont.

Courtin relève les itinéraires suivants :
- celui qui traversait les Alpes et conduisait en Espagne ;
- celui qui suivait le Rhin jusqu'à l'embouchure de la Meuse ;
- et, à travers la Bourgogne, la Champagne et la Picardie en direction de Boulogne sur Mer, la route qui longeait le Rhône depuis le bas Languedoc, avec un embranchement pour Marseille.

Toutes sont de grandes artères d'incursion, de communication commerciale et militaire.

Colin6 déclare : « Les archéologues du pays Chartrain constatent l'absence de ponts sur le Var, par la voie Aurélienne, sur la Gironde par la route de Saintes à Bordeaux, sur la Dordogne par la route de Périgueux à Agen, etc., et de conclure : les Romains construisaient des ponts bateaux et des ponts de bois, ils firent aussi des ponts de maçonnerie, mais avec parcimonie. Ils reculaient devant les difficultés des fondations en rivière » ( statistiques archéologiques d'Eure et Loir, P; 249 , Chartres 1859) .

Le pont d'Angers, construit dans les années 1005 et 1007 par Foulques Nerra, avait remplacé l'ancien qui était en bois, établi sur la voie antique de Tours à Rennes.

D'après un témoignage de Strabon, les chefs de l'armée romaine bâtirent plusieurs ponts sur la Meuse, la Moselle et sur d'autre rivières, au cours de leurs campagnes en Gaules et en Germanie. Ces ponts, d'après Colin6 , ne pouvaient être qu'en bois ; pourtant, d'autres témoins pensent que la pierre n'est pas exclue. On sait que toutes les armées organisées des empereurs romains avaient leurs pontonniers, mais les autochtones avaient certainement des ponts. Viollet-le-Duc rend hommage aux constructions des ponts gaulois. Avec un croquis, il montre un appareil fait de bois et de pierre. Les archéologues historiens et chercheurs du site de Bibracte9 ont utilisé cette même technique pour reconstituer les murs de l'oppidum, selon les instructions de Jules César lui-même.

Après le déclin progressif de Rome, la France, telle que nous la concevons de nos jours, n’était pas encore un territoire unifié. Les livres scolaires d'histoire, de l'époque de Jules Ferry , et bien après, laissaient un vide de plusieurs décennies, qualifié " d'époque barbare ". M. Bruno Dumézil7 éclaire de nos jours ce" trou noir", dans ses conférences d'une grande pédagogie, et par ses écrits.

Des annales du début du VIe siècle nous apprennent que la ville d’Arles (Bouches-du-Rhône) possédait un pont ‘’planchéié’’, ce qui permettait le passage des bateaux à mât et d'isoler la ville la nuit. En cas d'attaque, le plancher se rétractait.

D'autres chroniques nous relatent l'anecdote suivante : un grand personnage de la cour de Childebert II, le duc Gontran Boson, gouverneur d’Auvergne, traversait la Loire à Amboise, sur un pont de bateaux qu’un vent violent disloquait. Comme quoi, même les éléments naturels cherchaient à attenter à sa vie, déjà moult fois menacée !

Les successeurs du roi Franc Clovis, ses quatre fils, trop occupés à se protéger des intrigues, ambitions et rivalités, qu'ils fomentaient tous les uns contre les autres, ne s’attachèrent guère à entretenir ou construire d’autres routes et ponts. Pourtant, il fallait bien que l’on rentrât dans les villes et que l’on traversât les rivières ? Peut-être restèrent-ils sur leurs acquis ? Du moins c’est ce que croient les Colin6 et consorts. Les voies terrestres et les gués sont mal entretenus, nous dit-on, mais malgré tout encore praticables, tout comme les ponts et les bacs. Ces auteurs du XIXe et début XXe siècles ne transposent-ils pas ce qu'ils ont vécu à leur époque ? L'histoire se répète tellement souvent!...

L'époque de Charlemagne fournit des documents administratifs mieux conservés que ceux de ses prédécesseurs. Ce grand conquérant fait construire plusieurs ponts, ouvre ou consolide des routes. Instruit, il reprend la trame de l'administration romaine, et la modernise. Une armée nombreuse ne peut avancer sans routes ni ponts dignes de ce nom. L'empereur est avant tout un fin homme politique. Il est conscient que les villes d’importance, dotées de ports, sont aussi des revenus substantiels en perspective. Courtin, en 1812, dressera un tableau des constructions neuves sous Napoléon 1er. Il argumentera son compte rendu d'informations qui imprégneront longtemps les articles d'autres auteurs. Pour eux, après la domination romaine, toutes les voies tracées par cette dernière auraient été laissées à l'abandon. Le peuple "retourna à la barbarie". Seul "l'Empereur" Charlemagne aurait réussi à redonner sa splendeur à la France. Courtin ne voulait certainement pas risquer de perdre son emploi en froissant des susceptibilités, facilement courrouçables, à une époque où on est à la recherche de la légitimité ancestrale d'un empire unifié. De plus, Courtin n'est pas un historien...

Le Xe siècle est une période d'essais : on redécouvre le plein cintre romain et l'arc brisé, comme à Saint-Front de Périgueux. Ces techniques s'accentueront au XIe siècle, tournant de l'architecture qui, pour nombre d'historiens, équivaut au réveil de l'Occident. C'est l'époque d'une dense activité humaine, dans ses grandes œuvres matérielles. La construction des basiliques, des églises, des monastères, des donjons féodaux donne une vivante expression de l'autorité supérieure religieuse et de la puissance militaire. Les ponts, sur les grands fleuves et sur les rivières, apparaissent comme le complément nécessaire à une foi robuste et une énergie virile. La géométrie, le calcul, les connaissances techniques, vont tout d'abord s'exercer dans les cités importantes, le christianisme d'Etat se révélant surtout dans les villes. L'emploi du plein cintre et de l'arc brisé se retrouve dans les voûtes des ponts de pierre.

C'est aussi l'époque où les communautés religieuses s'enferment dans des monastères, qui concentrent les connaissances et instruisent les moines. Un nouvel ordre est créé, les Frères Pontifes, du nom des anciens prêtres sacrificateurs du collège du pont de Rome. Cette nouvelle communauté est composée de moines instruits, gens d'armes aguerris par les croisades et les guerres. Ils seront en charge de la construction de bacs et de ponts. Ils assureront la sécurité des voyageurs.

20200515 095827Au Xe siècle, les constructions de pierre nécessitent l'intervention de maîtres maçons et de charpentiers laïcs, les moines pontifes étant les "architectes". Nombre d'artisans ne sont pas clercs, mais ils sont nécessairement attachés à un évêché. C'est la suite des changements dans l’organisation sociale, opérée par la domination intellectuelle et pécuniaire des communautés religieuses. Les artisans, et autres bourgeois, sont dans l'obligation d'adhérer et d'exécuter les tâches imposées par les évêques, sous peine de sanctions. C'est aussi à cette période que le calcul des courbes et de la pression des voûtes, permettant l'édification de nombreux monuments, est enseignée dans les monastères, chacun d'eux ayant sa propre spécialité. La forme et le mode de construction des ponts, l'arc de cercle ou l'arc brisé, s'impriment du sceau religieux. Fin XIIe, le style ogival envahit la France, sauf en Provence, Bretagne et Guyenne. Cette mode n'a jamais été en grande ferveur dans le Dauphiné et le Languedoc. Les artistes locaux tenaient à conserver l'art antique.

prague brise glacesLe Moyen-âge central voit exploser les commandes de construction de ponts en pierre. Afin qu'ils soient assez solides pour braver les crues et les débâcles de glace, on étudie la forme des piles. Elles seront rondes ou sous forme de nez de vaisseaux ((au-dessus à gauche, à Mailly-le-Château). Les charpen-tiers seront amenés à implanter des brise-glaces en bois, pour renforcer les piles. Il en reste quelques exemples en Europe, notamment à Prague, sous le pont Charles (à droite).

Eudes II (983 - 1037), dit le Champenois, comte de Blois et de Champagne, déclara qu'il lui fallait "construire quelque chose de mémorable, d'utile à la postérité et par conséquent agréable à Dieu". Ce dernier, sollicité par sa femme Ermengarde d'Auvergne, s'était ému de la fragilité du pont de Tours, sur la Loire. Les marchands, et quiconque le traversait, risquaient un réel danger pour leurs vies. Il résolut, par chartes des années 1031 et 1037, l'édification d'un pont de pierre. La population de Tours, et nombre de voyageurs, en ressentirent le bienfait, car, pendant huit siècles, le pont était affranchi de tous péages.

L'évolution et l'ampleur des constructions de ponts, sur les fleuves ou larges rivières, allaient de pair avec la demande de la population pour l'édification de lieux de culte imposants et gigantesques. Tous apporteraient notoriété, argent et prospérité à leur cité. Les discours de l'Eglise allaient dans ce sens. Elle alléguait que, pour aller au ciel, il fallait rémunérer en biens somptueux (dans le sens matériel et pécuniaire) les ordres ecclésiastiques. En les payant grassement, ils pouvaient intercéder auprès de Dieu, dont ils avaient l'oreille. Le généreux profane était ainsi assuré qu'un boulevard lui était ouvert aux cieux éternels, et son âme sauvée. Sa place serait d'autant plus importante suivant la valeur du don. L'Église catholique fut toujours très prompte à vendre des indulgences contre argent sonnant et trébuchant. Elle ne rechignait pas non plus sur les dons de ponts, terres, ou tout autre bien rémunérateur. Elle inventa le purgatoire, lui permettant ainsi d'enrichir certains de ses prélats. Bien des édifices furent construits à la sueur d' hommes crédules, soumis et exploités. La peur leur fit créer de très belles choses. L'Église brandissait son sceptre pour punir les seigneurs peu scrupuleux du respect de leur semblables. Oubliant qu'elle-même était dirigée par quelques hommes faits de chair et de sang. Elle sanctionnait, en montrant d'un doigt accusateur les perspectives d'un jugement céleste, d'une grande sévérité pour qui ne cotiserait pas généreusement. L'art hydraulique bénéficiait de ces menaces : source de revenus conséquents, leur construction allait dans le bon sens. Les péages imposés aux voyageurs, pendant un certain nombres d'années, payaient la note des messes qui devaient être dites afin de sauver l'âme des donateurs. Ponts et moulins se trouvaient être parmi les dons précieux pour les ordres religieux. Ils étaient la traduction de besoins matériels et terrestres, donc imparfaits aux yeux de la doctrine, mais terriblement nécessaires. Comme tout mal qui engendre le bien…

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Qu'est-ce qu'un pont ?

A l’étude toponymique de l’étymon’’ pont’’, on constate souvent l'implantation d’un regroupement d’habitations artisanales. L’initiative est orchestrée, originellement, par un besoin économique qui s'accroît. Les voies navigables permettent aux commerces l'acheminement de plus grands tonnages, et ce pour tous type de denrées, que par les voies terrestres. Les villes ayant un port et un pont prennent de l'importance. Elles attirent des besoins communautaires en augmentation. Plus fréquentés, les axes de voies navigables et routières deviennent aussi des points stratégiques. A l’époque "gallo-romaine", l'évergétisme10 permet aux commerçants, artisans et paysans, de jalonner les voies terrestres principales de relais offrant gîte et couvert aux voyageurs, leurs montures et leurs véhicules. Des ateliers de forgerons, charrons, charpentiers et autres, ponctuaient ces axes routiers. Tout comme les nationales d’hier et les autoroutes d’aujourd’hui. L'archéologie le prouve. Le passage des rivières, pour les charrettes, bêtes de bât, véhicules en tout genre, cavaliers et piétons, se faisait sur des ponts fixes ou mobiles. Des ponts de bateaux, des bacs, ou des gués, suivant la saison et le temps, permettaient le passage d'une rive à l'autre, pour se rendre en ville. Les changements démographiques fragilisaient les ponts, de quelques matériaux qu'ils fussent. La dangerosité du passage des ponts de bateaux, ou fixes, limitait les chargements en poids. Ce n'était pas toujours pris en compte par les personnes vénales, ce qui causa bon nombre d'accidents. Les autorités durent édicter des lois : un pont détruit, c'est toute l'économie qui s'écroule. Le financement de ces passages à sec évoluera, il suivra les mêmes ambitions que leur propriétaire.

Les guerres, les épidémies, les disettes, augmentaient l'exode rural vers les villes. L'acquisition d'un lieu par un nouvel aristocrate, un roi, l'Eglise, faisait varier l'intérêt pour les édifices publics, leur apportant légitimité ou démembrement, entretien ou démolition. Hospices, hôpitaux et ponts suivaient le même"régime".

Dans le Dictionnaire de l'architecture Française du XIe et XIIe siècles (p.38), on souligne que des sceaux représentant les ponts accentuent le fort symbolisme de puissance du lieu et de ses représentants. Il est à noter aussi que les fleuves ou rivières importantes peuvent être représentés par des dieux ou déesses anthropomorphiques. Certaines villes font représenter leur pont sur leur blason ou leur bannière.

Dans "L'histoire de Pont-Audemer" (pp. 6 et suivantes), ville située dans l'Eure, on nous raconte que "vers la fin du IXè siècle, d'autres disent à la fin du IIIè de l'ère chrétienne, un aubergiste, qui se nommait Odemer ou Omer, en latin Odomarius, s'était établi sur les bords de la RIILE (Risle), à l'endroit où la communication était la plus fréquentée entre Rouen et Caen. Sa fortune lui ayant permis de substituer un pont aux barques de passage, plusieurs particuliers furent attirés en cet endroit pour le débit facile de leurs denrées ; Il se forma là insensiblement une petite ville, et ce pont déjà bâti et connu avant elle, prit le nom de l'aubergiste ; d'abord Pons-Audomarius puis devint Pont d'Audemer". Une autre tradition rapporte que ce serait un seigneur Franc, nommé Odemer, qui, spéculant sur les produits du droit de péage, aurait fait construire un pont sur la Risle, pont qui prit son nom et donna celui de la bourgade qui vint s'y rattacher.

Dans l'histoire de cette ville, rédigée par Alfred Canel et parue en 1885, l'auteur rapporte que tout d'abord, elle portait le nom de Breviodurum puis, celui de Deux-Ponts, et qu'enfin elle serait devenue Pont-Audemer, suite à l'érection d'une chapelle de pont au vocable de Saint Omer. Canel nous apprend que la rue du "pont de l'arche" fut nommée ainsi à cause de la fortification extérieure destinée à défendre l'entrée de la rivière, que le pont de 1495 fut construit pour faciliter le transport de l'artillerie et qu'il fut élargi en 1848, et aussi que la ville s'est construite sur la voie Antonin. Nous avons là, résumé, le schéma classique de l'édification d'un port, un pont, une ville.

Si on accélère l'histoire de l'urbanisation de différentes bourgades, le regroupement commercial, l'affluence humaine, ou la désertification, faisant suite aux divers changements politiques et démographiques, donnent aux villes, au cours des ans, une toute autre physionomie. La plupart des villes, plus ou moins importantes de nos jours, qui furent établies sur des voies navigables et routières, trouvèrent leur prospérité grâce aux ponts et ports auxquelles elles étaient rattachées. Les grandes voies romaines virent dépérir les villas de commerce importantes d'une époque révolue, supplantées par une économie croissante, exigeante, qui demandait plus de célérité.

On peut aussi rapporter l'histoire de la petite ville de Pont-de-Beauvoisin (Isère), racontée par F. E. Belly dans son "Voyage de Chambéry au Pont-de-Beauvoisin (Savoie et Isère) p. 219, 1868 ). "Son nom latin de Labisco, la fait remonter dans l'antiquité. Une voie romaine la reliait à l'Augusta des Alpes, à Saint-Genix d'Aoste, bâtie en amphithéâtre au confluent du Guiers et du Rhône... Si quelque chose dans cette cité possède du caractère, c'est sans contredit le pont qui lui donne son nom. Une seule arche du plus beau cintre s'élève sur la rivière qui divisait deux nationalités ; la construction en est attribuée à François 1er dans ses guerres avec les Suisses et Sforce de Milan ( ou Sforza, duc de Milan de 1512 à 1515). Henri II y fit graver le chiffre amoureux de la célèbre Duchesse de Valentinois, sa maîtresse, Diane de Poitiers, comtesse de Saint-Vallier, représentant trois poissons11."

pontdelarche violletAux époques féodales, on se met à construire des remparts, des tours de défense, pour abriter et sécuriser les habitants, plusieurs siècles durant. Les ponts sont défendus par d'imposantes tours, abritant des gens d'armes, en charge à la fois de défendre la ville et le cours d'eau, et d'encaisser les péages. Puis, la fin du Moyen-âge tardif arrive (fin XVe) et on démolit les fortifications.

Sous l'influence des rois anglais, on construit boutiques et maisons sur les ponts, en prolongement des rues commerçantes. Cela fragilise les piles, surtout celles en bois, mais les commanditaires n'en ont cure, ils s'en remettent à Dieu. Une législation est cependant mise en place, et chaque commerce qui s'ouvre doit payer son écot, une aubaine de plus pour qui possède l'édifice.

Des confréries sont créées, tout comme au temps des collèges romains, pour gérer, administrer et entretenir les ponts. Si ceux-ci sont royaux, un inspecteur du ministère royal sera dépêché pour inventorier les éventuels travaux à réaliser. Pour ceux qui appartiennent à un seigneur ou au clergé, on fait appel aux maîtres maçons locaux. Si nécessaire, impôts et taxes supplémentaires sont votés, pour couvrir les frais dans les cas de très gros travaux. Au quotidien, les péages, loyers et autres revenus servent à l' entretien, aux petites réparations, à financer les agapes de la confrérie et toute l'organisation qui va avec : fanions, manteaux... Certains confondent recettes et bénéfices, ce qui entraîne des accidents, quant à la fiabilité du pont.

Bénéficiant de l'énergie hydraulique de ces édifices, on y accole des moulins. Des lois sont édictées afin qu'ils n'entravent pas le passage des embarcations. On y construit aussi les lieux d'aisance, dans certaines villes qui recherchent plus d'hygiène, ainsi que les boucheries, pêcheries et autres commerces malodorants. Mais cette mode changera, avec le temps et les moeurs.

effondrementdupontdelarche jacquesphil renout 1850Les accidents suite à l'écroulement d'un pont sont souvent mortels. Ils entraînent les bâtiments et leurs occupants. Ils rendent dangereuse la navi-gation. Dans tous les cas, c'est une perte économique. L'Ecole Royale des Ponts et chaussées, créée en 1747, permettra la formation d'ingé-nieurs spécialisés. Ils se pencheront plus sérieusement sur la sécurité et les causes de ces catastrophes. Il faudra attendre le 7 ventôse (hiver) de l'an 12, pour que l'administration des Ponts et chaussées relève l'importance du poids des véhicules ( le calendrier de la révolution française est utilisé à compter du 22 septembre 1792 et annulé en 1806 par Napoléon 1er).

Il fallut menacer d'amende, pour faire appliquer une ordonnance stipulant les barèmes de chargements à mettre en place, afin de limiter l'usure des routes. Ainsi : « Le poids des voitures sera fixé, à raison de la largeur des jantes des roues. Après plusieurs expériences, il fut acquis que les voitures à larges jantes ont plus de solidité, qu'elles franchissent, avec le même poids, plus facilement les mauvais pas. Le cheval du timon, ayant moins de secousses, est par conséquent moins fatigué, les routes s'en ressentent et sont mieux conservées. Fait par le comte de Montalivet, Directeur des Ponts et chaussées.» Afin de s'assurer que les chargements n'excèdent pas le poids déterminé, on établit sur différents points de "l'empire", des ponts à bascules, sur lesquelles les voitures sont pesées. En Angleterre, cette loi sera facilement appliquée, mais on se déplace plus facilement sur les canaux. En France, les distances sont plus longues et le commerce demande de la célérité afin d'augmenter ses gains ; par conséquent, les routiers trichent couramment.

Dans le "Rapport au roi sur la situation des canaux", par Jacques-Joseph-Guillaume-Pierre de Corbière, en 1824, on constate que la construction d'un pont reste une affaire d'Etat. Ainsi, au sujet de la construction du pont de la Roche de Glun (Drôme), sur l'Isère, on lit dans le cahier des charges : "l'édifice doit être composé de sept arches en arc de cercle de 20 m d'ouverture, dont six en pierre et la septième en charpente ; réclamée par messieurs les officiers du génie militaire, dans l'intérêt de la défense du territoire, afin de pouvoir au besoin interrompre facilement la communication entre les deux rives, et un pont-levis au dessus de la sixième arche, pour laisser le passage libre aux bateaux et radeaux" (pp 87,88).

Fortification des ponts et des bourgs

Charlemagne avait fait construire deux ponts sur l'Elbe12. Il fit compléter l'un d'eux par une tête fortifiée en bois et en terre, de chaque côté de la rivière.

moret sur loing tourAfin de défendre Paris, il fera construire un solide pont fortifié, à la communication nautique de la basse et haute Seine (Marcilly-sur-Seine, Marne). Les deux têtes de pont seront munies de châtelets inexpugnables, sur le bras septentrional de la Seine, d'après Colin6 . Mais il les situe vers l'an 861 ou 919, et Charlemagne était déjà bien mort !... Si on maintient ces dates et donne crédit à Colin, il s'agit forcement des successeurs de l'Empereur, puisque lui est mort en 814. Il se peut donc que ses fils et petits-fils aient construit et entretenu leur territoire. Les convictions des ingénieurs des Ponts et chaussées de l'époque de Colin s'écroulent. Il bouche le trou noir, et fait une pirouette. Il est intéressant de souligner l'implication politique de ces articles, rédigés en 1860, sous l'Empereur Napoléon III.

Le chroniqueur Hugues, moine de Fleury-Saint-Benoit-sur-Loire (Loiret), rapporte que ce serait en 919, sous Charles le Simple, qu'on construit le grand pont de Paris ; Adon13, archevêque de Vienne et contemporain de Charles le Chauve, rapporte que ce serait en l'an 861, afin d'arrêter les incursions normandes. Colin6 penche pour Charles le Chauve, mais n'oublions pas que Colin a un jugement partial évident en faveur de l'Empire. Toujours est il que l'ingénieur nous rapporte :"La résistance du pont était très grande , de chaque côté s'élevaient des châtelets pour le protéger, le tout ne pouvait être qu'en bois."

A partir du IXe siècle et surtout du XIe, on retrouve plus de documents écrits conservés. La démographie augmente, l'instauration de grandes foires commerciales entretient des échanges à plus grande échelle. Les époques de paix relative facilitent le commerce, qui devient plus spécifique et demande de la main d'œuvre plus qualifiée. Les dévoirants (compagnons du devoir) parcourent l'Europe et diffusent leurs savoirs. Les habitants des bourgs ( les bourgeois), artisans et commerçants, s'enrichissent. Ils profitent des nouvelles infrastructures d'acheminement, que les nouveaux besoins commandent.

Après le Haut Moyen âge, l’instabilité provoquée par les conflits en tout genre a amené la nécessité de protéger ces édifices. On retrouve des actes liant des hommes de peine aux chantiers de fortification. Ce sont souvent d'anciens paysans cherchant à nourrir leur famille et à payer leur dû à un bourgeois ou seigneur devenu leur propriétaire. Ils sont esclaves ou otages. Les villes se barricadent derrière des remparts en maçonnerie (avant, ils étaient en bois). On construit remparts et forteresses pour défendre les bourgs. Quelquefois, les tours de garde sont attribués à certains bourgeois. Ceux qui sont très riches utilisent leurs hommes de peine pour les remplacer à cette ingrate tâche. Des actes sont rédigés en ce sens.

chablisAfin de protéger au maximum les villes, les ponts qui leur donnent accès sont eux-mêmes fortifiés, munis de tours de garde et d'octroi, voire de châtelets défendus par des gens d’armes, sentinelles vigilantes de ces édifices. Il n'en reste sauvegardées aujourd'hui que quelques-unes : voir notamment le pont Valentré de Cahors (Lot), le pont couvert de Strasbourg, le pont Charles à Prague (Tchéquie), quelques autres à travers l'occident. On trouve encore, hasard de nos promenades, les vestiges de remparts, ceux d'une tour d'octroi, comme au pont de Chablis (Yonne), ou son squelette, comme la tête de pont de Moret-sur-Loing (Seine-et-Marne). Cette dernière ville a gardé son pont, ses moulins, ses fortifications et les tours donnant accès à la ville, le monastère extra-muros , les traces de l'hospice, proche de l'église, qui fut inclus à la construction des remparts.

Aux époques médiévales, les hospices et chapelles seront rattachés aux ponts. Suivant un schéma classique, ces édifices pieux seront construits à l’extérieur de l'enceinte de la ville. Ainsi la prospérité, mais aussi la santé des habitants, seront mises à l’abri des miasmes, sous la protection d’un ou plusieurs saints, sacralisées par leur reliques. Les voyageurs y trouveront gîte et couvert. Ils y seront placés en quarantaine si nécessaire. Les pauvres et les indigents pourront être soignés gratuitement par des religieux et des bénévoles. Les chapelles seront édifiées pour prendre soin des âmes et récolter les dons. Si les croyances païennes restaient ancrées dans les campagnes, les saints remplacèrent les divinités locales, avantageusement médiatisés par les moines contre monnaies sonnantes et trébuchantes. La religion catholique impose sa suprématie. Les pèlerinages, pour consulter des reliques et sauver son âme, deviennent "monnaie courante" et enrichissent un clergé toujours plus puissant ; conséquence d'une politique de prérogatives, accumulées depuis les empereurs romains Dioclétien et Constantin, qui ont fait du christianisme une religion bourgeoise. Les ponts et autres établissements annexes, créés par ces communautés religieuses, seront entretenus par elles. Les dons serviront aux pauvres. Mais cela ne durera pas, car la politique catholique va devenir de plus en plus corrompue...

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barque caro nemoursEn ce qui concerne la navigation, vers le XIe siècle, les barques ont dû s’adapter au passage des ponts fixes et de leurs arches, dangereux obstacles. Des archéologues ont retrouvé une embarcation carolingienne, d'une longueur impres-sionnante, mais toutefois très fluette, qui est exposée au musée de la préhistoire de Nemours (Seine-et-Marne). Elle nous éclaire sur les besoins de l'époque. Même si celle-ci passait entre les arches des ponts, les coches et barques qui suivirent durent s'adapter aux besoins d'un commerce florissant. La construction navale ne pouvait que se transformer et suivre les contraintes de navigation. Chaque fleuve ou rivière navigable adopte son propre type d'embarcation. Pourtant, cela prendra encore quelques décennies avant qu'on élargisse certaines arches, pour les laisser passer. Ce sera là lourd de conséquences parfois mortelles pour les mariniers.

Les ponts demandant beaucoup d'entretien, on fixa de nouvelles taxes, perçues sur tous les usagers, piétons, montures, charrettes, marins et bateaux. Fortifier les ponts était un signe de prestige et de pouvoir. Leur revenu n’était pas à négliger. La sécurité qu'ils apportaient, non plus. Les commerçants, artisans ou seigneurs, avaient tout intérêt à en soutenir l’investissement ; les ordres monastiques aussi. Des impôts étaient votés pour leur construction et celle des fortifications.

Au Moyen-âge central (période entre la fin du XIe s. et la fin du XIIe), paysans ou serfs ainsi que leurs familles, qui étaient rattachés à leur terre, n'en sont plus propriétaires. Quelquefois, ils font don de leur terre et de leur famille aux abbayes. Des contrats, plus ou moins tacites, donnent hommes et terres en héritage aux rois et seigneurs en échange de leur protection. Les lois foncières changent. C’est à cette période que la particule des ‘’grandes familles" apparaît. On additionne le nom et le prénom au toponyme d’un domaine, d’une ville et de ses terres. On légitime ainsi les revenus perçus sur les biens territoriaux. Cela explique la transmission sur plusieurs générations d’un même nom et prénom. Cela ne facilite pas les recherches généalogiques, et embrouille les historiens en herbe. L’héritage du patronyme, matriarcal ou patriarcal, permet de continuer à percevoir les redevances des domaines s'y rattachant (Extrait de la conférence donnée par Didier Panfili le22/11/2017 au musée de Cluny sous le titre de ‘’Travailler la terre au Moyen Age’’).

Félix de Verneilh décrit les ponts du Moyen-âge. Ils étaient susceptibles d'être coupés pendant les guerres. Si les piles étaient en maçonnerie, les travées du tablier étaient en bois. Certains ponts de pierre étaient munis d'un pont-levis, tel ceux de Joigny, Poissy, Orléans, Charenton, la Guillotière à Lyon... Certains ponts étaient plantés au confluent de deux rivières, se reliant à une véritable forteresse. Vers l'an 1026, Renard II, comte de Sens14 fit construire à Montereau, au confluent de l'Yonne et de la Seine, un donjon carré, très fort, qui servit de point d'appui à un vaste châtelet, auquel aboutissait un pont traversant les deux rivières. Il était fermé aux deux extrémités par des portes fortifiées. Cette défense existait encore au XVIIe siècle.

Le Pont Saint-Esprit était fermé aux deux extrémités par des portes, encore au XVIIe siècle. Il aboutissait, du côté bourg, à une défense assez importante au XIVe, qui plus tard, fit corps avec la citadelle qui commandait le cours du Rhône en amont.

pont003Le pont de Saintes, sur la Charente, fut un obstacle formidable contre les bateaux aux intentions hostiles. Il barrait la route à d'éventuelles armées se présentant sur la rive droite. Ce pont, nous dit Viollet-le-Duc, était bâti sur des piles romaines. Flanqué de tourelles, il était construit en bois, de sorte que le tablier pouvait être facilement enlevé et toute communication interrompue. Il était défendu par une grosse tour qui commandait la porte de la ville. Ses défenses ne remontaient pas au delà de la fin du XIVe siècle. Il a été démoli sans raison sérieuse et remplacé par un pont suspendu.

Le pont du XIIIe siècle de la ville de Cahors, dit "de la Calendre", date de l'an 1251, selon Viollet-le-Duc. Il relie les murailles de la ville, et traverse le Lot. Les portes y sont défendues par des châtelets. Il est mieux connu sous le nom de Pont Valentré, et serait daté du XIVe siècle selon d'autres sources.

pont004Le pont Valentré à Cahors

Le pont de Beaugency, qui existait déjà au XIe siècle, était défendu par des fortifications à ses deux extrémités. Il avait une porte, un pont-levis avec deux tourelles, bâti sur la plus grosse pile de la seizième arche. Les fortifications furent détruites en 1767. La légende de ce pont est quasiment identique à celle de Cahors : les difficultés rencontrées au cours de son exécution le rattachèrent à des croyances populaires mystérieuses dont le Diable ne serait pas à exclure. Colin6 fait une très belle description du vieux pont ( p.215) dans son article sur les ponts du Moyen âge : "L'ouvrage était muni de deux couloirs formés dans la double muraille parallèle à la longueur du pont. On y pénétrait par deux baies aménagées dans la tour du troisième pilier, le couloir d'amont semble avoir eu la destination de guichet au service des piétons, des bêtes de somme et des cavaliers. Lorsque le tablier ou plancher du pont-levis était redressé, les couloirs qui faisaient face à la rivière étant crénelés, ils permettaient la défense du pont-levis en cas d'attaque par barque".

En l'an 1136, on a fortifié la tête du grand pont de Rouen côté ville. Cette construction fut détruite par un incendie. Colin6 pense qu'elle était par conséquent en bois. C'est l'impératrice Mathilde qui, vers le milieu du XIIe siècle, fit reconstruire en pierre le pont et sa fortification. Il s'écroula au XVIe siècle, on en voyait encore les vestiges début XIXe.

Viollet-le-Duc cite un certain nombre de ponts de pierre du Moyen-âge : ceux du Pont-de-l'Arche qui datait de la fin du XIIe siècle, et qui finit en carrière ; de Poitiers, qui avait deux portes fort belles à ses extrémités ; de Nevers, démoli ; d'Auxerre, qui possédait une belle tour et que l'abbé Lebeuf14 a connu ; de Blois ; de Tonnerre ; de Sens, terminé du côté de la ville par une considérable tour ; de Mâcon, etc... Il ajoute que le système féodal était le plus grand obstacle à l'établissement des ponts, au moins sur les larges cours d'eau, Eglise et aristocratie ayant quelques difficultés a s'entendre.

Arthur Bazin, en 1894, nous livre un article très explicite sur la fortification des villes et leur défense, dans l'histoire du "Vieux pont de Compiègne". Il nous apprend que l'ancien pont fut construit par Saint Louis (roi de France de 1226 à 1270). Il fut construit, dit-il, pour remplacer celui dont il est question en 1183. On le trouve nommé dans un bail à cens, qui mentionne un moulin, situé prés du pont, acte fait pour un dénommé Roger de Verberie. Le pont prenait naissance à l'extrémité de la rue Jeanne d'Arc, près de l'Hôtel-Dieu (encore un hospice prés d'un pont), et, de l'autre côté de l'Oise, à la chaussée de Margny. Il était précédé d'une porte flanquée de deux tours à mâchicoulis, recouvertes d'un toit conique. La porte était défendue par une herse et une grille où se trouvait un pont-levis. Le pont était en deux parties ; l'une, en pierre, qui occupait les deux tiers de la longueur, s'arrêtait au milieu de la rivière. Elle s'arrimait à un ouvrage fortifié, composé de deux tourelles et d'une porte de la largeur du pont. Suivait ensuite le pont-levis, qui était en bois. Vers la première pile, du côté ville, le pont communiquait en amont, par un plancher garni de garde-fous, avec un terre-plein maçonné formant un vaste bastion circulaire. Rattaché aux remparts, le pont portait une file de maisons s'appuyant tout à la fois sur le parapet et sur des piles avancées du pont. Le pont recouvrait l'ancienne halle aux poissons... Au dessus de la porte du pont, existait une chapelle, dédiée à Saint Louis. Elle était située à l'étage supérieur d'une des tours ; puis elle fut installée au rez-de-chaussée. Les religieux de Royallieu15 étaient tenus de célébrer deux messes par semaine, pour lesquelles ils touchaient cinq muids de blé, à prendre sur le minage16 de la ville.

Au XVIIe siècle, beaucoup de fortifications allaient disparaître. Une sorte de condamnation planait sur les tours et les murailles des villes. Une nouvelle urbanisation se mettait en place. Ces constructions devenaient par trop archaïques. Leur entretien demandait un financement, que les bourgeois n'avaient plus envie de supporter. De plus, elles devenaient trop exiguës pour contenir une population toujours croissante. Dans certains cas, l'aubaine représentée par ces monceaux de pierres taillées, faisait qu'on les transformait en carrières ; les corporations du bâtiment en étaient friandes : cela accélérait leurs chantiers de construction.

Les ponts ont la vie dure

En temps de guerre les ponts pouvaient être démolis , et les reconstruire demandait du temps. Ce n'était pas une nouveauté, comme nous le livre Marius Gilles17 dans un article de la revue mensuelle "le Tricastin", à propos du pont de Montélimar :

gue sumatra"La traversée du Rubicon dut s'effectuer longtemps à gué et par l'entremise des utriculaires (bateliers qui traversaient les rivières sur des outres)... Au XIVe siècle, les archives communales mentionnent le vieux pont d'Aygu à moitié démoli et devenu impraticable ; il sert de carrière et en 1392, on y puise les moellons nécessaires pour la réparation des remparts. En 1412, c'est avec les belles pierres de ce pont en ruine qu'on surélève la tour Sainte-Croix destinée à recevoir la première horloge publique. En 1782, à la suite d'une forte inondation, les fondations de la première pile du pont disparurent." L'article fait remonter la construction du pont à l'époque romaine. La seule tentative sérieuse de reconstruction du pont d'Aygu sera faite en 1455, grâce aux impôts spéciaux autorisés par le Dauphin Louis et répartis sur l'ensemble de la population ; ce pont était sans doute en bois.

Les piles à fondations romaines furent, dans certains cas, longtemps réutilisées, voire consolidées, afin d'asseoir un nouveau tablier et rétablir la circulation. Celles d'entre elles qui avaient survécu, se trouvaient être sur de solides fonds, tel le pont Saint-Martial du XIIIe siècle à Limoges (Haute-Vienne).

L'un des plus vieux ponts de la Loire était le pont de Sully, d'après le chanoine Hubert18. Il existait dans la première moitié du XIVe siècle. On le trouve mentionné dans les annales de l'abbaye de Fleury-Saint-Benoit (diocèse d'Orléans), qui rapportent qu'il fut détruit lors d'une crue en 1363 ou 65. Une charte de 1365 autorisait les ouvriers en charge des fortifications de la ville à prendre les matériaux aux arches chues du pont, que Monseigneur l'Evêque donne à la ville. Le pont de pierre devait dater du XIe et devait être d'une longueur considérable.

 

Nécessité fait loi

Les mariages entre grands des royaumes, le rattachement des seigneurs à l’un ou l’autre monarque, font la vie dure aux ponts et aux routes. A l’époque féodale, certaines villes et territoires sont redécoupés. Le plus souvent définies par un cours d’eau, même le plus mince, les limites territoriales rendaient difficile l'établissement d'un pont. Les voisins, fussent-ils frère et beau-frère, devaient bien s'entendre, ce qui n'était pas forcément le cas. C’est ainsi que chacun établissait un châtelet pour fermer les voies de communication. On ne pouvait établir des forteresses sur un pont, qu’avec l’autorisation du fondateur de ce dernier, mais nécessité faisant loi, nombre de ponts importants se virent équiper de tours de gardes.

Au XIVe et XVe siècles, les guerres sont incessantes. La politique féodale ayant morcelé les territoires, chaque seigneur et propriétaire terrien dut faire entretenir sur ses propres deniers les infrastructures urbaines et voies de communication existantes. Conflits, épidémies (1348, la grande peste) et famines ayant décimé une bonne partie de la population de l'Europe, les territoires français souffraient cruellement de main d'œuvre. Il faudra attendre le début de la Renaissance, et le beau XVIe siècle des grands bâtisseurs, pour que les travaux des voies de communication et d'urbanisation redeviennent d'une Royale et impérative nécessité. Les petites seigneuries, désertées, sont offertes aux hauts fonctionnaires militaires, à charge pour eux de les faire fructifier. Ecossais, Italiens, Germains, qui s'étaient battus pour les rois de France, vont repeupler ces territoires et leur apporter une personnalité et leur spécificité ( voir article "Stuart de Vézinnes" de la même auteure).

Les îles

Pour asseoir les piles des premières grandes constructions hydrauliques, on s'appuya aux îlots qui émergeaient des rivières. Les frères pontifes des Xe & XIe siècles prirent l'initiative d'immerger des blocs de pierres afin de servir de base aux piliers. Ils pouvaient, avec ce procédé, stabiliser l'édifice, s'ils devaient le construire sur un fond gravillonnaire. Construits sans cette prévoyance, l'effondrement de certains ponts était cause de nombreux accidents. Mais cela donnait des ponts qui n'étaient pas toujours très rectilignes pour joindre une rive à l'autre.

De nombreuses îles recèlent des vestiges d'occupation très ancienne. Autour du IXe siècle, des châteaux, des monastères, voire d’imposants édifices religieux, trouvèrent leur place sur des îles (Isles), naturelles ou artificielles, comme l'Isle-Adam, l'Isle-sur-Serein, Paris, Besançon et d’autres. Elles eurent nécessairement besoin de ponts fixes ou de pont-levis.

L'histoire de l'Isle-Adam, village qui au XVIIe siècle se trouve sur la rive gauche de l'Oise, en vis à vis du hameau de Parmain, nous éclaire sur l'importance stratégique de certaines de ces îles : le domaine passera successivement aux mains des Villiers, des Montmorency et des Conti. C'est suite à un don fait par son cousin Charles de Villiers, le 17 septembre 1527, sous réserve d'usufruit, qu'Anne de Montmorency en fut propriétaire pendant quarante ans. Il fit réparer les ponts et reconstruire le moulin banal, sur le pont de Parmain, à côté de l'audience et des prisons. Encore en 1870, les ponts de l'Oise à Parmain furent le théâtre d'une défense héroïque.

Louis Renet-Tener (1845-1925, peintre et maire de l’Isle-Adam de 1895 à 96) nous apprend qu' « Il est incontestable que les premiers habitants des Gaules aient occupé la plus grande des deux îles jumelles de l’Isle-Adam, sur laquelle on édifiait plus tard les différents châteaux et un prieuré.» C’est un seigneur nommé Adam qui jouxta son nom à celui de l’Isle. Adam 1er de l'Isle est signalé en 1014, puis vient Adam II de l'Isle, connétable de 1065 à 1092, sous Philippe 1er( roi capétien des Francs de 1060 à 1108). Il fit bâtir un château sur la plus importante des îles, et quelques maisons se regroupèrent sur les rives de L’Oise. A noter qu’au XIe siècle, les seigneurs et l’Église se partagent les terres. Il devient donc nécessaire d'identifier à qui appartient le domaine, afin de savoir à qui et dans quel pourcentage paysans et bourgeois doivent l’impôt. "Le premier château d’Isle-Adam est surtout un point stratégique de défense et de refuge. Le pont du côté de Parmain était défendu par une grosse tour. Un prieuré a été édifié sur l’île en 1014, il sera démoli en 1710. L’abbé Lebeuf nous dit que les reliques de Saint Godegrand, évêque de Séez (Orne ; devenue Sées sous Napoléon 1er) et frère jumeau de Sainte Opportune, furent rapportées par le seigneur Adam de l’Isle, sur ses épaules en procession, et qu’une chapelle fut dédiée à la Sainte Vierge pour recevoir la tête de Saint Godegrand, ce qui fit naître un pèlerinage fort suivi. Dans la description du château, on apprend l’usage d’un pont tournant qui se trouvait dans la cour isolée de la rue et qui sera remplacé par une arche de pierre. Comme avec toute île, il y avait le grand pont, et le pont Cabouillet. Leurs maisons et les hôtels particuliers furent démolis en 1784, excepté l’habitation du Maître du pont."

Une fontaine miraculeuse coulait au pied de la chapelle, aujourd'hui disparue ainsi que les maisons qui l'entouraient.

Les ponts pouvaient rattacher plusieurs îles, comme aux Ponts-de-Cé, en Anjou. Il y eut en ce lieu une succession de ponts depuis les Romains. C'était une vaste étendue d'étangs et de rivières. Aux Ponts-de-Cé se réunissent la Vienne, le Thouet et la Loire. Afin de franchir les eaux, on établit une série de chaussées et de ponts, qui mis bout à bout, étaient d'une longueur de plus de trois kilomètres. Il est à noter que la chaussée dite "du pont Bourguignon", plus au nord d'Angers, était traversée par cinq arches de pierres et deux travées de bois. Sous ce pont coulent les eaux de la rivière d'Authion.

La presqu'île d'Angers ne comportait pas moins de six ponts recensés sur un plan de la fin du XVIIe siècle.

On pourrait citer bien des îles, qui rattachées par un pont sont englobées par une cité, mais la liste est bien longue. Si on est un tant soit peu attentif, on les découvre intégrées dans le nom des villes, des quartiers ou des rues ; c'est assez amusant de les chercher.

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PONT SAINT ESPRIT 30Il y a des légendes de ponts, qui ont bercé nos enfances. Les plus connues concernent le pont d’Avignon et le pont Saint-Esprit. Tous deux sont sur le majestueux Rhône. Plus prosaïquement, l’époque de leur édification, surtout pour le premier, correspond aux besoins stratégiques et politiques d'un empereur. Le cahier des charges est clair, et sa récupération ‘’médiatique’’ par les autorités cléricales, évidente. La construction en maçonnerie du pont d’Avignon21 débute aux environs de 1177 ; le pont devra faire 920 m. C’est une prouesse inimaginable. A cette époque, on est plus habitué au pont de bateaux, surtout sur de si larges distances. Le pont Saint-Esprit, à Saint-Saturnin-du-Port, est commandé par le frère de Saint Louis, Alphonse de Poitiers. La première pierre est posée le 12 septembre 1265, la dernière 40 ans plus tard ; il fera 919 m. La ville de Saint-Saturnin prendra plus tard le nom de Pont-Saint-Esprit.

avignon violletAprès le partage de l'empire de Charlemagne, Avignon est comprise dans le royaume des deux Bourgognes, Royaume d'Arles et de Vienne. Après le conflit des successions de Bourgogne (1032-1034), l'avantage revient à l'Empire. L'empereur Frédéric 1er dit Barberousse est couronné en 1155. Il gouverne un très vaste territoire et tente de pacifier l'Empire et d'apaiser l'Église. Le pont d’Avignon21 est alors la seule voie permanente de communication entre les territoires qu'intègre l'Empire. Les commanditaires font appel à la confrérie religieuse des frères hospitaliers pontifes. Ces moines, bâtisseurs et gens d'armes, devaient donc être déjà reconnus au XIIe siècle. D’après l’Abbé Grégoire, ce serait l'Ardéchois Petit Benoît, qui plus tard deviendra Saint Bénezet, qui fut le premier chef de cette institution. Petit Benoît aurait tout d’abord entrepris ses premières constructions à Maupas, avant de s’attaquer à son chef d’œuvre, le Pont d’Avignon. L’abbé ne nous dit pas quelles sont ses constructions antérieures. Maupas, nous dit l’abbé, faisait partie du Diocèse de Cavaillon  ; le seul Maupas que nous ayons trouvé se trouve être un ruisseau, affluent d’un autre ruisseau, le Pisseviepont saint espritille, dans le Vivarais, l’actuelle Ardèche. Toujours est-il que Petit Benoît, au-delà de la légende, faisait partie d’une confrérie de pontifes, moines policiers, qui, au XIIe siècle, établissaient des bacs, construisaient des ponts et donnaient assistance aux voyageurs sur le bord des rivières. En 1307, un certain Rodolphe de Mervel construira une tour pour fermer le pont, côté rive droite.

Le pont Saint-Esprit fut construit sur l'emplacement du site de Malatra ( mauvais pas), près de Saint-Saturnin-du-Port, au confluent de l'Ardèche et du Rhône, au XIIIe siècle. C'est là qu'Hannon, lieutenant d'Hannibal, franchit le fleuve, et que prêcha Saint Sernin au IIe siècle. C'était une dépendance seigneuriale de la rayonnante abbaye de Cluny ( Saône et Loire). Il fut édifié, par suite des suppliques des habitants faites au prieur clunisien, Jean de Thianges. Il posa la première pierre d'un pont, sur la rive gauche. La suite fut confiée aux hospitaliers pontifes en 1262. En 1309, Philippe le Bel accorda aux habitants, par lettre royale, le droit de remplacer le nom de la ville de Saint-Saturnin par Pont-Saint-Esprit. L'édifice deviendra un pont militarisé, tout comme celui d'Avignon et les autres, au cours des XIVe & XVe siècles.

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Ce sont les religieux hospitaliers de Pont-Saint-Esprit que l'on retrouve mentionnés dans le périodique "Les échos du Ventoux" : extrait d'un article de 1884, de Louis Brugier-Roure8 : : « Le pont jeté sur la rivière, non loin de l'hôtellerie démembrée, montre suffisamment la mission protectrice remplie par les frères pontifes de Saint-Saturnin-du-Port, dans les défilés que parcourt l'un des plus vieux chemins de la contrée. Les moines hospitaliers étaient des religieux policiers, surveillant les voyageurs. Ils vivaient dans la gorge de Saint-Jean-de-Vassoles, à l'extrémité méridionale du coteau de Puy-Chabaud ; leur importante auberge fut détruite par Roger de Beaufort, aristocratique bandit. »

Pont Saint Esprit Btiments de lOeuvre Hospitalire Louis Bruguier Roure 1890Les bâtiments de l'oeuvre hospitalière au Pont-Saint-Esprit, vus par Louis Brugier-Roure en 1890.

Au XIIe siècle, nombre de grands ponts de pierre furent construits en remplacement de ponts de bateaux ou de bois, payés et construits par les bourgeois et artisans. Ceux-ci, le plus souvent, devaient se dédommager par les péages, avec l'accord du seigneur du lieu. Parmi ces ponts, Viollet-le-Duc cite le vieux pont de Carcassonne ( Aude), sur la rive droite de l'Aude. Il fut bâti par les soins de la ville en 1184. Celui de Béziers (Hérault), sur l'Orb, date de la même époque.

Quand l'Eglise, par quelque accord que ce fût, prévoyait de faire construire un pont de pierre, en remplacement d'un pont de bois, les moines s'engageaient à ce que la construction des piles de maçonnerie, ne nuise pas à la communauté laïque. Elle souscrivait aussi au remboursement des montants restant dûs aux bourgeois, artisans ou ayants droit, qui avaient financé la construction du pont de bois. On retrouve des "contrats" en ce sens où, le cas échéant, les ecclésiastiques s'engageaient à payer, sur leur deniers, ce qui restait de créances. Les ponts de pierre étaient construits à quelques mètres de celui en bois, si ce dernier n'avait pas été démoli. Certaines chroniques rapportent que ces ponts de pierre mettaient un certain temps à être construits. De temps en temps, on voyait bien une pile sortir des eaux, mais le chantier prenait son temps. On sait combien l'Église était pauvre !!... Les ponts à remplacer finissaient par se rembourser d'eux-mêmes. La lenteur faisait aussi que plusieurs maçons différents pouvaient reprendre le même chantier, ce qui apportait à la construction finale quelques bizarreries. Si vous trouvez des ponts de pierre quelque peu biscornus, c'est souvent lié à la disparition du maître maçon à l'origine de la commande. Dans cette corporation, on mourait facilement et chacun avait son "style". Les intempéries aussi pouvaient retarder la construction, démolir ce qui avait été difficilement monté. A noter aussi que les moines ne construisaient pas eux mêmes de leurs mains, ils commandaient au chantier ; seuls les novices, les oblats, les convers et les laïcs travaillaient à ces tâches.

Le pont de la Guillotière, à Lyon, fût rebâti à l'initiative du pape Innocent IV (né à Gênes, Italie, en 1195, mort en 1254) ; le premier datait du XIIIe siècle. Mais ces ponts étaient étroits et peu adaptés à un passage intense. Il faudra attendre le XVIIe siècle pour que les constructions s'adaptent aux besoins des trafics routiers et fluviaux.

Le pont de Neuilly sur Seine fait partie de l'histoire, mais plus sur le plan politique que religieux. Circaud19 en a réuni les documents et recréé l'histoire que nous vous résumons.

Ce pont stratégique est reconstruit en 1654 en bois, pour succéder au précédent, édifié lui aussi en bois en 1608, en remplacement d'un bac. En 1606, le roi Henri IV passe la rivière en carrosse, avec la reine, sur le bac de Neuilly. Le bac chavire. Le Roi, furieux, ordonne alors la construction d'un pont de bois en ce lieu. C'est celui de 1608, qui chut peut-être à cause des intempéries, et qui est remplacé en 1654. A partir de cette date, un véritable roman à la Dumas commence :

bac hobbitsC'est tout d'abord un certain Christophe Marie qui est chargé de la première construction. Pour se faire rembourser de ses frais, il obtient la faculté de percevoir, pendant trente ans, les mêmes droits qu'il exigeait du passage du bac. Il se chargeait des indemnités dues aux propriétaires des bacs voisins, que le pont pouvait pénaliser, car l'aventure d'Henri IV resterait vivace. Le pont de bois fut construit par les soins de Marie et, quand ce dernier mourut, ses héritiers perçurent la suite de la rente des trente années de jouissance. La Duchesse de Schomberg20 supposa que par ses nombreux passages du dit pont, elle avait remboursé aux héritiers de Marie la valeur des obligations. Elle obtint de sa Majesté le Roi l'usufruit du pont, avec une prorogation de la jouissance des droits de péage, qu'elle devait percevoir pendant 30 ans. Elle obtint par clause qu'elle ne pourrait en être dépossédée, même après 30 ans, qu'en étant remboursée, elle et ses successeurs, des sommes par elle fournies, pour les réparations et réfections à faire ou faites à ce pont. En 1663, elle obtint une nouvelle prorogation de 40 ans, avec les mêmes clauses de remboursements. En février 1711, le marquis de Surville (1659-1746) obtient une troisième prorogation pour 40 ans, qui devait expirer en 1751. Enfin, le marquis de Hautefort obtient, en 1735, par lettre patente, une prorogation de 40 ans, avec les mêmes clauses de remboursements en cas de dépossession. Ainsi, on trouve le secret de faire subsister un droit toujours onéreux au public, pendant 150 ans. Et Circaud19 de conclure : « Ce droit ayant expiré en 1791, au lieu de 1641 qui avait été accordé à Marie, sa Majesté a fait rentrer le pont dans le Domaine de la même manière que celui de Sèvres, à la décharge du public, et même avant que les privilèges des premiers actionnaires ne fussent expirés. Les secrétaires du Roi n'ont eu de cesse de jouir, dès l'instant de leur création, de l'exemption des droits de péages et passages sur ponts et bacs. Suite à différents édits, ils en jouirent également pendant que Marie exerçait son privilège. »

Les rentes des péages de pont étaient telles que nombre de procès furent entamés.

Péages

Les origines de l'argent collecté pour la construction et l'entretien des ponts datent de l'"invasion" romaine. L'administration mise en place tirait des impôts des rives navigables. Les gouverneurs des Gaules, seigneurs gaulois romanisés ou gradés émérites de l'armée des empereurs, chargés d'administrer les territoires pour servir Rome, devaient rivaliser de stratégie afin de garder ses faveurs. Les pays soumis payaient de lourds impôts, que les gouverneurs étaient chargés de collecter. Le vectigal romain (redevance, tribut imposé au peuple vaincu) devint le portorium ou péage, en Gaule pour les voies routières et les ponts. Amnis étant le cours d'eau, le péage des bateliers était l'amnica stips, stips signifiant monnaie.

peage tournaiLes péages, comme les autres impôts, n'étaient pas supportés indistinctement par tous les usagers et citoyens. Le poids des marchandises qui empruntaient le pont, le nombre de chevaux, tout étaient réglementé, comme aujourd'hui sur les autoroutes. Les ponts étant d'utilité publique, personne ne devait être dispensé de sa contribution à l'entretien. Sauf dérogations exceptionnelles. Ces octrois étaient très clairement une source féconde de revenus.

Le péage des ponts se faisait pour le passage du dessus ou celui du dessous. Ce dernier était dit droit de barrage. On en retrouve des traces déjà en l'an 360, dans les villes comme Paris. D'après Colin6, les ressources pécuniaires des ponts provenaient surtout des bateaux chargés de sel. En 1358, les dépenses pour le pont d'Auxerre (Yonne) étaient couvertes par le passage des cargaisons de sel, en dessus et en dessous du pont. Les Juifs furent souvent condamnés à payer la part des monastères ou abbayes. Ces hauts lieux ecclésiastiques et charitables trouvaient souvent multiples parades pour se soustraire à l'entretien pécuniaire des ponts, mais ils ne crachaient pas sur leurs revenus. De hauts justiciers étaient requis à la tâche d'imposer tout contrevenant. Ils pouvaient être mandatés par l'Eglise, les rois ou les aristocrates.

auxonnesingeaauxonnesinger

Les péages des époques moyenâgeuses permettaient d’entretenir l’édifice, de construire hôpitaux, hospices et chapelles s'y rattachant. Le XIIe siècle étant friand de pèlerinages, source de substantiels revenus, les chapelles de ponts se sont vu attribuer le vocable d’un saint ou d'une sainte, que l’on venait consulter suivant les besoins. Les croisades, les guerres et tous les fléaux qui en découlent, apportaient leur lot de miséreux et de malades, que les hospices et hôpitaux recevaient avant qu’ils n’entrent dans la ville. Tous dons et taxes étant une manne, il y eut quelques détournements, qui nuirent gravement à l'entretien de ces constructions. Certains seigneurs, peu scrupuleux, continuaient à percevoir un droit de passage sur la navigation, même si le pont était détruit. Ils "oubliaient" de le reconstruire, les vestiges écroulés occasionnant un obstacle de plus à franchir pour les bateaux, qui par conséquent ne pouvaient contrevenir au paiement.

En 1367, le pont de Mâcon (Saône-et-Loire), sur la Saône, réclamait d'urgence réparation. Perret, maître maçon local, se proposa pour les travaux. Il offrit de faire, à ses frais, les échafaudages et le pavage. Il réclamait juste qu'on lui fournisse pierre, chaux et sable. Les travaux ayant été commandés par les consuls et échevins, les dépenses en revenaient à la ville. Mais sept ans avant, on avait fait payer à la ville les fortifications. L'imposition mise en place pour cette construction était déjà très lourde pour les bourgeois de Mâcon. La réparation du pont augmentait leurs contributions écrasantes. L'évêque, lui, faisait tout pour s'y soustraire. Le roi Jean vint à passer dans la ville. Mis au courant des difficultés pour réunir les fonds de réparation du pont, le roi convoqua l'évêque et le contraignit à payer sa contribution.

Les péages sur les ponts très anciens avaient été établis sous l'autorité des seigneurs comme on l'a vu plus haut. Le droit de péage comportait l'obligation d'assurer aux voyageurs la sûreté de leur personne et de leurs effets. En cas de vol ou de meurtre, le seigneur était tenu d'indemniser la victime ou ses ayants droits. Chaque seigneur, laïc ou religieux, avait ses propres taxes. Lorsque le pouvoir royal se centralisa, le roi seul put en établir le montant, à son profit ou à celui des engagistes du domaine royal. Ceux-ci pouvaient être des cessionnaires, bénéficiant d'un transfert de biens à titre d'inféodation, ou des percepteurs d'octroi qui reversaient l'argent au roi pour financer les guerres. Les seigneurs, hauts justiciers, ne furent maintenus dans leur droit à cet égard qu'en justifiant d'une très ancienne possession.

Viollet-le-Duc raconte que le péage était appelé pontage, pontonage, pontenage... enfin la billette ou branchiette, à cause du billot ou de la branche d'arbre où l'on attachait la pancarte.

pageLe péage du dessous du pont Saint-Esprit, sur le sel transporté par bateau, contribuait à l'entretien coûteux de l'édifice. Il était élevé, pour cause d'affouillements ( creusement des piles par les eaux) redoutés de par la rapidité du fleuve (extrait d'un article sur les ponts du baron Auguste Théodore de Girardot, né en 1815 et mort en 1883, fonctionnaire public, archéologue et historien ).

Certains Grands, comme Guillaume1er, duc d’Aquitaine (dit le Pieux, abbé laïc de Saint-Julien de Brioude (Haute-Loire), né vers 875, mort vers 918), font don des péages aux "bonnes œuvres", et à l'Eglise en particulier. Celui-ci, en 918, fait rédiger une charte défendant pour toujours de percevoir des péages au passage de "son pont royal"; il sera suivi en 1036 par Eudes (dit le Champenois, né vers 983, mort en 1037) comte de Chartres, Tours et Blois, qui fait de même sous prétexte de faire une bonne action et sauver son âme.

brousse turquieHenri II, comte d'Anjou et roi d'Angleterre, accorda à l'abbaye de Fontevrault (Maine-et-Loire) le bourg des Ponts-de-Cé, avec un péage, sous réserve d'exemption de ce droit aux habitants du dit lieu. A Angers, Henri II décida de créer une œuvre monumentale, afin de donner un témoignage de sa libéralité. Il voulut que le pont soit libre de péage à la circulation, que des maisons à plusieurs étages, et d'une parfaite symétrie, y soient construites pour recevoir des ateliers, magasins et marchandises, afin que les passants puissent y trouver constamment tout ce qui pouvait satisfaire leurs besoins usuels de la vie quotidienne et du luxe le plus raffiné. Les bâtiments devaient border les deux côtés du pont. Ils devaient être disposés de façon à protéger les passants des ardeurs du soleil. Ce qui se fit à Angers en 1149, on en propagea l'usage dans d'autres pays, sur quelques grands ponts. C'est ainsi que l'on retrouve une ou deux files de maisons et de magasins, symétriques ou non, construits même lorsque les ponts étaient en bois, à partir du XIIe siècle. Cette mode se perpétuera, malgré les risques qu'elle comporte. Il en reste au moins deux célèbres, en Italie celui de Florence et celui de Bath en Angleterre.

L'euro n'étant pas encore instauré, l'époque féodale voyait circuler différentes monnaies, frappées par roi, seigneurs et abbayes. Chaque ville se devait d'avoir des boutiques de change. Les ponts, points de passage obligés, étaient le meilleur emplacement. Ce pouvait être une simple échoppe, munie d'une seule fenêtre à guichets, dans une maison qui pouvait comporter plusieurs étages. Le Pont au Change de Paris est bien connu, il a gardé le nom. Dans d'autres lieux, il reste des vestiges de tour d'octroi, tout comme par exemple, à Chablis (Yonne), à côté du pont, ou encore a l'entrée de celui de Moret-sur-Loing. Suite à la circulation des denrées et des devises, les boutiques de change permettaient aux commerçants de vendre leurs produits sur les marchés et les foires, tout comme aujourd'hui quand on va à l'étranger. Les différentes devises appartenant aux aristocrates ou aux rois qui frappaient monnaies étaient les symboles de leur autorité.

Le 30 floréal (printemps ; jour de la houlette) de l'an 10; une loi établit un droit de navigation intérieure, perçu sur les rivières et fleuves navigables, ainsi que sur les canaux. On prit pour base la dimension des bateaux ; à quelques exceptions près, celles relatives au vin et au fer. Les produits de ce droit, et ceux des bacs, seront spécialement affectés aux travaux de navigation.

le 8 prairial (printemps, jour du martagon) de l'an 11, l'Etat organise la navigation de la France en bassins. Ils sont subdivisés en quatorze arrondissements, qui, en partant de la Manche, suivent les côtes de l'Océan, de la Méditerranée, et finissent par la Mer du Nord. Les bassins portent les noms des fleuves : la Somme, la Seine, l'Orne, la Vilaine, la Loire, la Charente, la Gironde, l'Hérault, le Rhône, le Pô, le Rhin, la Moselle, la Meuse, l'Escaut, l'Aa. Chaque arrondissement a son propre tarif, avec des fonctionnaires pour en percevoir les recettes. Ces dernières sont versées au receveur général de Paris. Seule la navigation du Rhin a un régime particulier : l'octroi y est l'objet d'une convention entre l'Empire de France et celui d'Allemagne, signée à Paris le 27 Thermidor de l'an 12.

Corporations

Depuis l'Antiquité, les métiers étaient répartis en corporations spécifiques appelés collèges ou centuries, qui avaient à leur tête un représentant élu. Plutarque en comptait huit d'importance, dont les Tignarii ( charpentiers). Celles qui contribuaient au bon fonctionnement des armées et des villes avaient une place honorifique dans la cité, notamment lors des processions. Parmi elles, on trouve souvent citées les « corpora opiscum » ou les « corpora pontificum », les corporations de marchands d'eau, nautes, naviculaires, "bateliers et marins" (lire : "Histoires des corporations de métier depuis leur origines jusqu'à 1791" par Etienne Martin Saint-Léon, 1922, ou "Dictionnaire historique des arts et métiers et professions" par Alfred Franklin, 1906).

orleans aorleans r
Jeton de la compagnie des marchands de Loire (1739):
à gauche, figure allégorique de la Loire ;
à droite, la ville et le pont d'Orléans
(photo iNumis ; remerciements à M. S.Sombart).

Gens d'armes : pendant un temps, ce furent les moines policiers templiers, qui se chargeaient d'assurer la protection de tout ce qui passait, sur ou en dessous du pont ou du bac qu'ils avaient construit ou qui était confié à leurs soins. Ils assuraient aussi sa gestion et celle des établissements qui s'y rattachaient. Puis vint l'époque où ces congrégations et commanderies se disloquèrent. Pour défendre les ponts qui ouvraient les villes, on engagea des garnisons d' hommes d'armes, payés et entretenus par le roi, le seigneur, voire les bourgeois. Quand la ville n'avait pas suffisamment de moyens, elle imposait des tours de garde aux représentants des collèges. Dans certaines villes, on retrouve des actes où ces derniers se faisaient remplacer par des hommes de peine, ou des débiteurs en règlement d'une dette.

Les ordres religieux : l'ordre des moines Pontifes. Certain chroniqueur pense que leur premier établissement, en 1164, se situait à un endroit réputé dangereux nommé Maupas, sur la Durance, dans l'évêché de Cavaillon (Vaucluse). Saint Bénezet (mort en 1184), fondateur du pont d'Avignon, serait issu de cette école monastique. Cet ordre était chargé de construire, d'entretenir et de protéger les ponts et les bacs. Moines constructeurs, c'étaient avant tous des soldats, qui pouvaient avoir participé à une croisade en Terre Sainte. Par la suite, d'autres ordres religieux seront rattachés aux ponts. Ils administreront et feront fonctionner les hôpitaux et hospices. En Avignon, les frères qui avaient construit en 1265 le pont Saint-Esprit, ce qui fut peut-être leur dernière œuvre, s'établirent à la chartreuse de Bonpas (Vaucluse) en 1277. Ils reçurent tous droits pour le pont de Bonpas. Ils s'unirent d'abord aux Templiers. Puis ils furent donnés et incorporés aux Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem. Leur habit était blanc avec une bande rouge (d'après Magne Agricole, 1712). Au début du XIe siècle, le mouvement intellectuel et littéraire prit de l'essor dans les écoles monastiques. On peut citer l'abbaye de Fleury-Saint-Benoit, dans l'Orléanais, réputée pour l'apprentissage de la géométrie et du calcul, mais bien d'autres monastères établirent des écoles. Les maisons mères possédaient maîtres d'œuvre et ouvriers, qu'elles utilisaient pour les abbayes secondaires. Ils étaient toutefois soumis a la rigueur de la maison mère. On peut citer l'exemple des moines cimenteurs, de l'abbaye de Cluny, qui ne pouvaient utiliser que des recettes admises par cette dernière. L'architecte clerc ne pouvait en aucun cas y déroger. Au XIIe siècle, l'ordre de Cîteaux organisa le nomadisme en groupe : les frères convers de l'ordre, ayant divers métiers, et qui n'étaient pas liés par des vœux, se rendaient sur des chantiers, avec à leur tête un contremaître et un moine directeur, chargés de leur distribuer le travail.

Henri II, roi d'Angleterre et comte d'Anjou, attribua la propriété des ponts de son territoire à l'abbaye de Saint-Florent de Saumur (Maine-et-Loire). Charge revenait aux moines de rembourser les bourgeois qui avaient construit et entretenu les ponts de bois. Les moines s'engageaient à bâtir chaque année une arche en pierre, pour remplacer peu à peu les ponts de bois.

Fallace ? Nous avons trouvé cette curieuse anecdote dans un étude d'Alexandre Colin6 : "A l'origine, les ponts de la Loire sont, pour la plupart, construits au temps de Jules César par une association d'ouvriers, venus d'Italie, portant le nom de pontifes, qui devient le germe de la Franc-maçonnerie." Mais Colin reconnaît que l'ouvrage qu'il cite, a disparu de la bibliothèque de Blois. (p.353 de l'article "Le pont des Tournelles à Orléans de 1120 à 1760 ")

Au XIIIe siècle, pour les constructions civiles et religieuses, des maîtres ouvriers, laïcs, remplacèrent partout les congrégations religieuses. Ils formaient, sur le tas, des jeunes hommes désireux d'apprendre le métier. C'est l'époque où se réorganisent les collèges de corporations, et où les dévoirants ou dévorants, compagnons du devoir, parcourent les pays. Les villes, comme les seigneurs, n'avaient plus besoin de recourir aux frères constructeurs de ponts et autres.

Les maîtres d'œuvre, maçons et charpentiers : dans l'Antiquité, la centurie des Tignarii ou charpentiers, faisait partie des corporations les plus importantes, dans les armées. Ils partaient en campagne, construisaient et réparaient les machines de guerre et les ponts. Les maçons étaient moins reconnus, car sédentaires. Ils participaient toutefois à l'entretien et la construction des villas et monuments. Les sculpteurs et artistes peintres avaient, eux, une place à part.

Viollet-le-Duc nous dit, au sujet de la reconstruction du Pont Notre-Dame à Paris, que les deux maîtres des œuvres de l'Hôtel de Ville, Colin de la Chesnaye pour la maçonnerie, et Gauthier Hubert pour la charpente, furent chargés de l'entreprise. On leur adjoignit Jean de Doyac, Didier de Félin, Colin Briart, André de Saint-Martin et deux religieux, Jean d'Escullaint et Jean Joconde. Ces deux derniers étaient chargés de contrôler les pierres de taille. Colin de la Chesnaye et Jean de Doyac, commis à la superintendance de l'œuvre, portaient un "bâton blanc", comme marque de leur pouvoir. Seize hommes, pris dans différents quartiers de la ville, travaillaient sous leurs ordres.

Entre le XIe siècle et la Renaissance, une confrérie d'artistes et d'ouvriers laïcs secoua l'autorité monastique. Elle s'affranchit du gouvernement des cloîtres. Dans le courant du XIIIe siècle, elle se libère des plans imposés par les moines. Chaque école, entre les IXe & XIIe siècles, subissait l'influence de sa propre province, dont les centres monastiques entretenaient le monopole. Quand les corporations laïques et les ateliers se formèrent en dehors des monastères au cours du XIIIe, elles mirent un point d'honneur à combattre le rigorisme artistique des religieux. Même les thématiques religieuses recevaient un autre traitement. Les corporations gardèrent l'empreinte de l'ordre et la discipline, qui prévalent à toute entreprise. Les maîtres façonnaient les élèves sur le tas. Ces corporations laïques reconnues pouvaient se transporter à la demande sur les chantiers et travailler de concert avec les moines.

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Joute de mariniers à Paris au XVIIe siècle

Les mariniers : nautonniers et caudicaires romains, naviculaires ( navicularii ), toutes ces corporations avaient déjà une législation à l'époque romaine. Les corpora Nautea englobaient les maîtres bateliers, les propriétaires de bac ou de barque. Les naviculaires construisaient leur propre navire, à leur compte ; transporteurs des ravitaillements en tout genres, leur centurie était centurie importante. Dans certaines villes, des pilotes assermentés régissaient le passage des ponts. Les bateaux étaient astreints à les prendre a bord, afin qu'ils dirigent le passage du pont, moyennant paiement, s'ajoutant aux taxes. Cela assurait la sécurité, car ces mariniers connaissaient bien le passage. La corporation contribuait à la construction et l'entretien du pont. Certaines corporations pouvaient compter une douzaine de mariniers assermentés, appelés les compagnons de l'arche ou de la rivière. Ils avaient à leur tête un Maître du pont. Cet emploi fut confirmé par une ordonnance Royale en 1672. Plus tard, le nombre des officiers du pont fut augmenté et porté à soixante, par édit du mois de février 1707.

Les portiers : chargés de filtrer les entrées des villes, de vérifier les chargements des voitures, et encaisser les taxes. Ils sont aux premières loges pour tous les fléaux. Ainsi Arthur Bazin nous rapporte qu'en 1636 à Compiègne "Les vagabonds et autres personnes des villages alentours passaient la porte du pont, fuyant devant l'invasion espagnole ou la peste. L'épidémie sévissait déjà dans la ville. Thomas Flamermont fut employé spécialement à la garde du pont. Il avait en charge d'en refuser l'entrée aux gens arrivant du dehors ou à ceux qui n'avaient pas fait leur quarantaine. En 1657, pendant six mois, le tambour de la ville, Simon Baugiron, suivant les ordres de sa Majesté du 12 mai, assembla tous les jours les habitants pour faire garder la porte du pont et arrêter les officiers, cavaliers et soldats déserteurs des armées du Roi".

changeLes (é)changeurs : les ponts furent, pendant fort longtemps, recouverts de boutiques. Les changeurs convertissaient les devises, en échange de la monnaie du lieu. Tout comme aujourd'hui dans les pays qui ne sont pas à l'Euro. Dans toute l'Europe du Moyen-âge, évêques, seigneurs, rois, émettaient leur propre monnaie. Les ponts étant le passage obligé, un échangeur y tenait boutique. Dans le cas de villes comme Paris ou Lyon, il y avait un pont spécifique pour le change, les orfèvres et autres préciosités. Il pouvait aussi y avoir plusieurs boutiques de change. Le commerçant, qui voulait acheter ou vendre ses produits, était tenu de payer dans la monnaie du lieu. Les changeurs payaient au roi Louis VII 20 sols par an et par fenêtre, selon la charte de 1141 (citée par Champollion-Figeac dans Droits et Usages).

Conservateurs : c'est Charles VI, le Bien-aimé (roi de France de 1380 à 1422), dit aussi le roi Fol, qui introduit cette corporation, afin qu'elle visite et fasse entretenir les ponts du royaume. Certains monastères sont obligés de contribuer à l'entretien des ponts et à leurs dépenses, ainsi que le roi, les hauts justiciers, seigneurs aristocrates, bourgeois, et les Juifs. Les conservateurs sont chargés de rentre visite aux ponts et de convoquer les administrés l'ayant à charge. Ils sont quelquefois accompagnés d'un superintendant des turcies et levées, afin de recevoir son avis. Celle institution est instaurée par Henri III. On peut retrouver des jetons de présence de cette corporation. Après la visite de ces hauts dignitaires suivaient des agapes très arrosées, bruyantes, vectrices de calamités, et dont les dépenses étaient souvent très élevées.

Tous les grands ponts étaient administrés par des "Maistres" de pont, gouverneurs ou proviseurs, qui se trouvaient élus pour un nombre d'années déterminé par lettre patente. On retrouve quelquefois ces lettres, si la ville a conservé les documents de cette administration. Les élus prêtaient serment. Chacun d'eux avait pour charge de rendre compte de la tâche qui lui incombait, dans un rapport annuel ou autre, suivant la convention de la ville. Ces rapports devaient être rendus publics. Devaient y figurer les maisons, ainsi que les dîmes, loyers et taxes s'y rapportant. Ces maisons pouvaient appartenir à l'administration du pont sans être sur l'édifice. Les recettes comprenaient les legs, quêtes, dons faits au pont ; les loyers, cens, rentes ; les revenus du pontonnage, perçus à chaque bête de somme ; les droits d'entrée de la ville. L'hôpital attaché au pont pouvait frapper d'une taxe chaque charretée de pain, de foin, de paille et autres denrées vendues ou non, entrant par le pont un certain jour de la semaine (à Orléans par exemple, c'était chaque samedi) ; les revenus de lançage et neuvage (neuf jours par mois, tous les pêcheurs payaient une taxe sur le poisson sorti de l'eau) ; les droits perçus sur chaque nouveau bateau ou bateau neuf, qui passait sous le pont ; les recettes du tronc de l'hospice, les quêtes ; et l'inventaire des autres revenus, exemple, vente d'un pourceau, coupe d'un saule....

 Les proviseurs : ils étaient chargés de désigner une personne, ou une maison, ou de faire appliquer une donation, afin que le pont soit nettoyé. On trouve quelquefois dans les testaments une clause allouant une rente annelle ou semestrielle en faveur du nettoyage du pont. Colin6 cite : " En 1420, Bernard Ducreux testait une rente de vingt-quatre sols parisis par an pour faire balayer et nettoyer le pont convenablement pour les quatre fêtes par an, et payer les gens qui le nettoieraient." En 1678, un acte stipule que tous locataires d'une certaine maison, située sur le pont des Tournelles à Orléans, s'engageaient en la baillant (en la louant) à "l'opération de nettoyage du dit pont". Le plus souvent, c'étaient des maisons qui logeaient des animaux et qui, par conséquent, salissaient le pont. Ce pouvait être aussi à la suite d'une sentence, que les héritiers du condamné continuaient d'honorer jusqu'à la fin du verdict.

pont st michelTous ces administrateurs étaient aussi chargés des fêtes, des réceptions, des cortèges, des cérémonies publiques, de tout ce qui concernait des circonstances extraordinaires. Ils s'occupaient de la décoration du pont, de la confection des habits relatifs à la corporation. L'arrivée d'un roi, d'une reine, d'un plénipotentiaire, nécessitait faste et organisation. Les fenêtres des maisons, les vêtements de la corporation, tout devait resplendir pour honorer le monarque. Quand François 1er entra en grande pompe à Orléans, le 20 décembre 1539, aux côtés de l'Empereur Charles Quint, les gens du roi et les échevins avaient fait prélever sur les deniers de l'œuvre du pont des Tournelles et de l'hospice Saint-Antoine une somme destinée à payer une partie des dépenses de la cérémonie, et notamment celles de l'habillement d'apparat des trois proviseurs du pont. Leur robe était de damas doublé de velours noir, et d'un pourpoint de satin cramoisi. La ville offrit à Charles Quint un buffet d'argent et de vermeil.

On retrouve aussi les baux des logements des "concierges" ou sentinelles, que la ville prenait à sa charge ; il étaient là pour surveiller. Les maisons des maîtres de pont, plus cossues, étaient celles des bourgeois élus, dont le loyer était à la charge de la confrérie du pont si ce n'était pas celle du bourgeois lui-même.

Au Moyen-âge, dans les villes royales, il était d'usage d'acheter aux paysans voisins une partie du pain nécessaire à la consommation des habitants. Les boulangers, tallemeliers, meuniers, formaient une corporation placée sous les ordres du préfet. On trouve déjà cette coutume sous l'administration romaine. Dans certaines villes, la vente de pain par les marchands étrangers devait se faire sur le pont affecté à cet usage :" Touz foreins et extrangiers boulangers et tallemeliers pouvoient s'ilz le vouloient faire pain tel pris, pois, et telle grandeur comme bon leur sembloit et icelluy vendre au sabmedy sur le pont d'Oriliens sans ce qu'ilz feussent repris ni visites par le maître visiteurs boulangiers plus loing on exige que le pain et patisserie fussent de blé sans mistion d'aveine fèves et autres mistion mauvaises. Fait le 23 septembre MCCCXCV". (cité par Colin)

Les villes royales imposaient que tous pains de boulanger, qu'ils soient de la ville ou étrangers, soient vendus pour un même poids. Un maître tallemelier fut chargé de mettre une amende à tout contrevenant. Tout étalage sur la pont donnait droit à une redevance, perçue par le proviseur au profit des œuvres du pont.

De Martonne parle "des boucheries qui étaient établies sur le pont de Tours ; l'écorcherie était installée sur des piliers dans le prolongement de l'aval de la première arche côté ville. A  Angers, ils étaient sur le pont des Treilles.".

moret s loingMoret-sur-Loing : le pont s'appuie sur une île et porte encore plusieurs moulins.

Les moulins

On trouve souvent des moulins à roue, accrochés sur les piles des ponts. L'invention des moulins à eau remonterait aux Romains. En Gaule (d'après "le Dictionnaire des beaux-arts", d' Aubin-Louis Millin de Grandmaison, 1806), c'est sous le règne des rois Mérovingiens que leur usage devint commun. Sous les Carolingiens, ce serait de véritables usines. Au Moyen-âge, ils pouvaient être établis sur bateau, sur cage fixe en maçonnerie ou sur pilotis (voir photos du pont de Moret-sur-Loing). La législation imposait qu'ils n'entravent pas la navigation. Tout contrevenant, quelle que fût sa qualité, risquait la peine de suppression, de destruction ou de confiscation. Leurs revenus étaient une manne substantielle. Le nombre de moulins sur bateaux était considérable, particulièrement dans les villes. Ceux qui étaient accrochés au pont, ou installés sous les arches, jouissaient de privilèges et étaient minoritaires. Les moulins montés dans des cages, bâtis en pierre ou sur pilotis, étaient plus rares que ceux à nef ( bateau), qui possédaient l'avantage de pouvoir se déplacer.

pont de l arche langloisLes moulins à cage fixe incorporée au pont, laissaient libre la voie des piétons et des véhicules. Les cages, soit en maçonnerie, soit en bois, étaient adossées en général à la face aval du pont, pour gêner le moins possible la navigation. Les barques passaient sous les arches non occupées. Les moulins à cage mobile laissaient le passage aux glaces et aux crues.

A Blois, en 1078 et 1089, on trouve dans des actes notariés l'existence de moulins, sur et sous le pont. Cinq moulins banaux et royaux étaient montés dans des cages fixes, adossées à l'aval du pont. On y accédait par la voie charretière du pont.

Il y avait sous le pont des Tournelles à Orléans, plusieurs moulins royaux.

On trouve souvent des chartes de donation de moulin, appartenant à un seigneur aristocrate, possesseur du pont et de tout ce qui s'y rattache. A noter aussi que les rivières étaient, soit royales, soit seigneuriales, suivant le territoire qu'elles traversaient. Le don pouvait concerner une partie d'un moulin, ou le moulin entier. Il n'était pas rare de trouver plusieurs quidams possédant chacun une partie d'un même moulin. Chacun d'eux s'acquittait, suivant le pourcentage qu'il avait du bien, des taxes de location pour l'emplacement, la réfection et l'entretien du pont et ceux du moulin. Il percevait une partie des revenus du moulin, suivant ce même pourcentage. On retrouve des actes de succession, de vente, de rachat, d'entretien, des notifications de revenus, dans les archives notariées. Exemple : à Paris, Philippe 1er en 1070, puis Louis VII en 1137, transmettent aux religieux de Saint-Martin la propriété des moulins du Grand Pont. Ce pont fut détruit en 1296 ; on reconstruisit un pont en bois à côté, sur lequel on installa plusieurs moulins. Il prit le nom de Pont aux Meuniers, sur lequel la circulation publique fut interdite jusqu'à la fin du XVIe siècle. En 1596, un incendie consuma presque tous les moulins et maisons qui s'y trouvaient. Il fut rebâti en bois en 1598, par Charles le Marchand, capitaine des arquebusiers et archers de la ville, dont il prit le nom. Il y avait une double rangée de maisons symétriques, séparées par une rue centrale. En 1621, il fut entièrement détruit par un incendie.

parisplan hoffbauer xvieAinsi, dans l'article sur Le pont de Compiègne, d'Arthur Bazin (p 10), on peut lire : "A droite de la seconde arche, sur l'un des piliers, s'élevait un moulin à eau, avec une maison et une étable, le tout bâti en 1431, sur l'emplacement de l'ancien, renversé par les ennemis, pendant le siège de la ville, survenu l'année précédente. Il était habité par le meunier Rénier Rambert, qui fut imposé de 100 sols et, le premier en tête, pour la taxe établie le 10 novembre 1430* par Guillaume de Flavy, afin de réparer le pont rompu par le siège". Bazin nous fait ensuite la liste des acquéreurs du moulin, et des baux et de leurs subtilités. Il n'y avait pas que des moulins sur les ponts, et chacun des maisons ou établissements payait un loyer. Si aujourd'hui on cherche à avoir le moins possible d'intermédiaires, ce n'était pas le cas en ces temps reculés.

Le comte d'Anjou avait concédé aux religieuses de l'Abbaye du Ronceray d'Angers (Maine-et-Loire) toutes les pêcheries, ainsi que les emplacements occupés par les moulins, compris dans l'intérieur et au-dessous des arches du pont d'Angers. Dans la première partie du XIIe siècle, Henri Plantagenêt avait concédé à l'hôpital Saint-Jean les moulins à cage fixe, au pont des Treilles ; plus tard d'autres moulins furent établis sur ce pont. Au XVIIe siècle,on voyait quatre groupes de moulins installés en aval, sur les fondations en maçonnerie. Le pont des Treilles d'Angers faisait partie de l'enceinte fortifiée. 

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aisey2  aisey3  Aisey-sur-Seine (Côte-d'Or): pont, bief, moulin (XVIe sièècle).

La coutume d'établir des moulins sur ou proches des ponts, fut supprimée pour satisfaire la pudibonderie affichée de la" bonne société" du XVIIIe siècle : les moulins abritaient des individus de mauvaises moeurs. Dans certaines grandes villes, vers la fin du siècle, on les démolissait. En 1856, il restait une exception à Paris, celle du pont d'Arche.

Sur les rivières qui ne sont pas classées navigables et domaniales, il restera des moulins à cage accolés aux ponts.

Chapelles et croix de pont

La chapelle du pont d'Avignon, au moment de son édification, était sous le vocable de Saint Nicolas, puis elle reçut celui de la Vierge Marie avant de recevoir la dépouille de Petit Benoît et de devenir la chapelle Saint-Bénezet. Elle se trouvait sur une pile proche de la ville d'Avignon. Construite à 4,50 m au dessous du tablier du pont, on y descend par un escalier pratiqué, en partie en encorbellement, en partie aux dépens de l'épaisseur du pont. On trouve assez rarement aujourd’hui ces chapelles de pont, édifiées sur une des piles. Il en reste une dans l’Yonne, à Mailly-le-Château, aujourd'hui chapelle Saint-Nicolas.

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2    druyes   Pont de Mailly-le-Château (Yonne)

  

annay s sereinQuelques ponts ont gardé leur calvaire qui, quelquefois, a perdu sa croix. Il délimitait le territoire à qui l'on devait le cens, l'impôt, et la partie à qui incombait l'entretien de l'édifice. Elle pouvait être dédiée à un saint, une sainte, un évêque ou un roi, ou commémorer un événement. Située au centre du pont, elle était le témoin des pourparlers des plénipotentiaires. On retrouve des factures concernant ces croix, que l'on pouvait recouvrir d'or, de bronze ou de peinture pour honorer tel ou tel événement.

marcignyLes ponts, comme les chapelles, pouvaient aussi être recouverts de fresques, ou de sculptures. On retrouve des témoignages a ce sujet. Exemple, sous le pont de Joigny (Yonne, peinture d'un saint Nicolas sous l'arche proche de la tour de la ville, aujourd'hui disparue ; archives d'Auxerre), sur le pont des Tournelles à Orléans, mais aussi dans bien d'autre villes plus ou moins importantes. Au Moyen âge, les édifices comme les ponts, les chapelles, les églises, étaient œuvres pies. On avait recours à la peinture, pour les fresques des murs et sur les sculptures, pour faire mieux que la nature et célébrer Dieu. Certains pigments pouvaient être très chers, ils soulignaient l'importance du commanditaire. Aujourd'hui, on arrive à retrouver des fresques ou peintures murales, aux pigments fanés, aux couleurs quasi disparues, ou cachées derrière un badigeon. Des statues de bois ou de pierre, épargnées par les iconoclastes ou les pilleurs à l'affût des métaux précieux, sortent quelquefois de collections anonymes. Les ponts ont rarement eu cette chance. Les protestants, puis les révolutionnaires, ayant repris les usages des iconoclastes du VIIIe siècle, les statues , les images religieuses, furent détruites. Seuls les récits des chroniqueurs et les factures détaillées des artisans, intervenus pour ces travaux, aident à imaginer et dans certains cas reproduire un monde où la couleur dominait. Sommes-nous trop heureux aujourd'hui, ou est-ce par humilité, que nous colorions notre quotidien en noir et blanc ? Il y eut des temps plus sombres, où la couleur, en la sublimant , substituait à la mort partout présente, l'œuvre d'un Dieu.

tonnerreA Tonnerre (Yonne), le pont Notre-Dame portait autrefois une chapelle sous l'invocation de la Vierge. Il fut réparé en 1574 après l'inondation, puis de nouveau en 1613, et en 1855. Il se compose à présent de onze arches, et a perdu sa chapelle.

A Compiègne (Oise), la chapelle Saint-Louis, qui se trouvait en haut d'une des deux tours du pont, fut en 1623 placée au rez-de-chaussée. Son ancien emplacement fut loué par la ville, pour neuf ans, moyennent 60 sols parisis par an.

Si le vocable de Saint Nicolas est bien représenté, notamment pour les mariniers dont il est le saint patron, reste à noter que les chapelles de pont peuvent avoir changé plusieurs fois d'allégeance. Suivant les modes et l'acquisition de reliques, elles prenaient un nouveau locataire. A quel saint se vouer ?!

Il n'est pas rare de trouver, encore de nos jours, des croix de fer ou de pierre au milieu des anciens ponts. Quelquefois, leur support est décapité de l'emblème religieux. Quand le pont était couvert de constructions, on élevait une croix sur la maison centrale. A Compiègne, la croix était en vis à vis de la maison du dénommé Gabriel Lemaire, et délimitait les évêchés de Beauvais (Oise) et de Soissons (Aisne).

A Blois (Loir-et-Cher), le sieur Poictevin, ingénieur, architecte du roi ( Louis XIV) de 1680 à sa mort en 1720, parle d'une chapelle dédiée à Saint Fiacre, qui se trouvait en face des moulins royaux, ainsi qu'une croix de pierre, sur l'avant-bec du cinquième pilier, en partant de la ville, du côté du faubourg de Vienne.

A Tours ( Indre-et-Loire), une chapelle Saint-Jacques se trouvait sur l'île du même nom, près du pont. Le grand pont de Tours était surmonté d'une croix, au dessus de son arche maîtresse.

Tous les ponts ne possédaient pas une chapelle sur ou dans leurs murs ; elle pouvait être construite juste à coté. Citons en exemple celle dédiée à Saint Jacques, à Beaugency (Loiret). Elle était en bois, mais n'existe plus. On la retrouve nommée dans les actes notariés.

Colin6  a recensé quelques chapelles de pont et leurs différents vocables :
- Saint Pierre , St Marie et St Fiacre à Blois,
- Saint Jacques à Tours,
- Le Saint Sacrement à Saumur,
- Saint Nicolas aux Ponts de Cé,
- Saint Martin à Rouen,
- Saint Nicolas, St Esprit, St Bénezet à Avignon,
- Sainte Catherine à Montauban,
- Notre-Dame à Bergerac.
Saint Jacques est le patron des pèlerins, Saint Nicolas celui des mariniers.

Saint Antoine, grand Patriarche de la Thébaïde (Egypte), fut l'éponyme d'un des premiers ordres hospitaliers du Moyen âge, les Antonins. Le blason des Hôpitaux Antonín ou Antoine est un tau, une béquille ou potence, représenté sur la robe des religieux, qui étaient réputés pour soigner les infirmes. Les hospices de Saint Antoine avaient le privilège de laisser leurs pourceaux en liberté dans les rues ; ils devaient toutefois être munis d'un collier avec une clochette. Les autres cochons étaient interdits, et ce depuis la chute mortelle du fils du roi Louis le Gros, à Paris en 1129. L'enfant fut désarçonné par un pourceau, qui s'était jeté dans les jambes de son cheval (recommandons l'ouvrage de Michel Pastoureau : Le roi tué par un cochon, Points histoire, 2018).

Petit à petit les chapelles de pont vont disparaître. Les pont seront élargis ou démolis, avec leurs boutiques, leurs moulins, leurs maisons. Les reliques vont être translatées aux grandes églises, où des chapelles seront attribuées aus saints des ponts. L'urbanisme change, on regroupe pour faire de la place.

Eglises, prieurés, hospices, hôpitaux

Sous la domination romaine, nombre de hauts fonctionnaires évergètes10 érigèrent des lieux de culte et des établissements hospitaliers (léproseries), hospices ,afin de plaire à Rome et de conforter leur pouvoir. L'Eglise catholique reprend cette coutume, forte de son influence politique et morale. Hier on devait s'assurer de la protection de l'Empereur, à présent il faut celle de Dieu et des évêques. L'administration territoriale ne s'y trompe pas, tous ces établissements, mis sous la protection de reliques saintes, font prospérer les bourgs. Les bâtiments sont en général construits en dehors des villes et proches des ponts ouvrant sur la cité. Certaines congrégations monastiques se spécialisent pour recevoir les voyageurs, pèlerins, indigents et orphelins. Ils y sont soignés, nourris, logés, gracieusement ou en échange de contributions. Les orphelins sont une pépinière de main d'œuvre gratuite et un potentiel de recrues non négligeable. C'est là aussi que l'on maintient les demandeurs d'asile et les voyageurs en quarantaine, en cas d'épidémie. Abbayes et monastères offrent bonne table et logement confortable, contre des dons en nature ou en argent pour les plus fortunés. Ces établissements fleurissent dès le IXe siècle. Ponts et établissements religieux seront très longtemps liés. Construits sur les voies de communication, à l'entrée des villes, ils sont un passage obligé en ces temps de règne de la marche à pied, du cheval, de la voiture hippomobile et du coche d'eau. Après l'édification des murailles enfermant les bourgs, de nombreux établissements se retrouveront encore plus isolés hors des murs.

L'hôpital du pont d'Avignon fut uni en 1321, par Jean XXII, à l'église collégiale de Saint-Agricol de la même ville.

Aujourd'hui il ne reste presque plus de ces établissements, souvent démantelés ou transformés en carrière. Mais dans certaine villes, des quartiers ont gardé en souvenir le nom des congrégations qui les dirigeaient. On peut citer, à Semur-en-Auxois (Côte d'or), le quartier des Minimes, situé à proximité du pont et sous les remparts de la ville. L'ordre religieux du même nom recevait les indigents dans un hôpital, aujourd'hui transformé en un accueillant restaurant. Le nom des rues, dans certains bourgs anciens soucieux de leur patrimoine, donne des indications sur l'emplacement des établissements intra muros qui ont disparu.

semur 1  semur 2  Pont des Minimes à Semur-en-Auxois : au bout du pont, l'Hôtel-Dieu.

Dans la Revue Savoisienne de l'Association Florimontane d'Annecy (Haute-Savoie), on nous parle (p. 66, art VII) de la fondation d'un prieuré, Sainte-Marie-du-Pont, construit sous l'épiscopat de Josserand, évêque de Belley, soit vers 1063-1070. L'église fut construite prés du pont fortifié... Il semblerait que ce prieuré n'existe plus.

Le prieuré de Saint-Nicolas de Campagnac ( à Sainte-Anastasie, dans le Gard), fut donné à l'évêque d'Uzès en 1156, avec l'église et le village, par le roi Louis VII dit le Jeune. Son pont Saint-Nicolas, bâti sur la rivière du Gardon entre 1245 & 1250, serait dû à l'initiative de Monseigneur Pons de Becnil ou Becmil, 30e évêque d'Uzès (épiscopat de 1240 à sa mort en 1249). Trente ans après sa mort, Pons de Becnil sera surnommé Pons du Pont (Pontius de Ponte). Une association s'était formée sous le nom de "La confrérie du Saint-Esprit de Blauzac" (Gard) pour recueillir les aumônes destinées à l'œuvre du pont Saint-Nicolas, qui faisait partie du monastère. Le pont reliait Nîmes à Uzès. Ce lieu stratégique, et chargé d'histoire, reste encore aujourd'hui magique.

A la fin du XIVe siècle, à Orléans, la gouvernante de l'asile des pauvres était Marguerite de Chaumette, dont l'Hôtel-Dieu se situait sous le pont des Tournelles. L'hospice fut gravement inondé en mai 1527. Il était sous le vocable de Saint Antoine. Colin6 nous dit qu'en 1702 se trouvait "l'Ostel Dieu Saint Antoine" sur le pont ; il était dirigé par sœur Françoise dite sœur des passants (p. 440).

Au cours des XVe & XVIe siècles, bon nombre d'hospices et d'hôpitaux, qui se trouvaient à l'extérieur des bourgs, sont arasés. Les troubles occasionnés par les guerres successives ajournèrent la construction des édifices hydrauliques en pierre, pour laisser place aux passerelles et ponts de bateaux.

Dans les années 1670, Philippe d'Orléans fera en sorte que les hôpitaux vétustes du Royaume, même régis par les institutions religieuses, soient regroupés dans de grands bâtiments plus modernes, mieux adaptés aux besoins de l'époque. C'est la naissance des hôpitaux généraux que l'on connaît encore. Aucun ne manque d'avoir sa chapelle.

A Dijon (Côte d'or) l'ancien hôpital, fondé au XIIIe siècle par Eudes III duc de Bourgogne (duc de 1192 à 1218), est extra muros. Il est construit sur une île de l'Ouche. Il fut mis sous l'administration des Hospitaliers du Saint-Esprit, puis, en 1640, il fusionne avec l'hospice Sainte-Anne et l'ensemble devient l'Hospice Notre-Dame-de-la-Charité. Il intègre deux chapelles : "La grande Chapelle" près du pont (construite entre 1504 et 1533), et "la chapelle Sainte-Croix-de-Jérusalem", construite vers 1454. Aujourd'hui le pont est intégré dans l'urbanisation, il faut être très attentif pour le deviner.

L'institution des Ponts et chaussées

Vers la fin du Moyen-âge, "on attribua tout d'abord aux officiers des eaux et forêts l'exécution de voirie et de quelques ponts afin d'affaiblir l'autorité des trésoriers" (dixit Courtin, p 6 de son compte rendu). C'est peu probable, on le voit dans les documents comptables des ponts qui ont été gardés. Henri IV, en 1599, crée "l'office de Grand-Voyer", en faveur du Duc de Sully. Le poste consiste en la surintendance des grands chemins, le pouvoir de commettre des lieutenants dans ses provinces pour rendre compte et superviser. Divers projets de canaux sont présentés au Roi et à son Grand-Voyer. Leur but : faire des jonctions entre plusieurs grandes voies navigables afin de pourvoir plus rapidement en denrées, notamment alimentaires. Le premier projet en ce sens fut Briare ( Loiret) par un édit de 1599. C'est un des plus anciens canaux de France. pont canal briareIl fut commencé en 1605 et terminé en 1642. Le pont-canal, qui traverse la Loire, est une merveille archirecturale de la fin du XIXe siècle. Louis XIII (roi de France de 1610 à 1643) supprima l'office de Grand- Voyer pour le remplacer par quatre Trésoriers de France, qu'on supprima quelques années plus tard. La France de cette époque, on s'en souvient, est depuis 1624 gouvernée par Richelieu et sa belliqueuse politique. Toutefois, c'est à cette époque que le canal de Briare fut terminé . On construisit à Paris les ponts Saint-Michel, de l'Hôtel Dieu, le pont Marie, ainsi que l'aqueduc d'Arcueil. En 1670, sous Louis XIV (roi de 1643 à 1715), on entretient les acquis et on s'occupe surtout des routes. Courtin cite toutefois le pont de Saintes (Charente-Maritime) en 1666. A Paris, c'est l'entretien qui prime. Le château de Versailles coûte cher. La première pierre posée date de 1623. Les routes doivent être suffisamment sûres pour les chariots d'approvisionnement du chantier.

st flo pont canal 2Aujourd'hui, on compte plus de soixante ponts-canaux sur le territoire français, merveilles d'élégance et de technologie (voir leur liste, avec de nombreuses photos, sur wikipedia).

C'est sous Louis XV (1715-1774) qu'on se posera sérieusement la question de l'entretien des routes et des ponts. Des ingénieurs seront chargés de faire paver les routes pour en assurer la solidité. On plantera des arbres, pour les ombrager et assurer le confort des voyageurs. Ils serviront de ressource en bois de construction et de charbonnage. L'administration des Ponts et chaussées sera dans l'obligation de traiter méthodiquement tous projets et réalisations. En 1722, ce sera Trudaine père qui aura pour charge d'intendance l'administration des Ponts et chaussées. Son fils reprendra le poste, avec en plus, la gestion des ports de commerce, la navigation des rivières et des canaux. Afin d'avoir des hommes compétents pour les constructions hydrauliques, les grandes voies et les chaussées, une école est créée en 1750, sous la direction de l'ingénieur Perronet  (certains de ses rapports sont à consulter sur Gallica). Elle permettra la réalisation de gigantesques travaux. Selon Colin6, "dès lors, une quantité prodigieuse de routes fut tracée, on éleva des ponts sur les rivières les plus larges, avec des arches surbaissées et plus larges, afin que les eaux et la navigation trouvent moins d'obstacles. Les grand canaux furent entrepris, Bourgogne et Picardie, ainsi que les ponts d'importance".

angely yonneSi cette école fait avancer les techniques, l'institution sera aussi un facteur de polémiques entre les ingénieurs hydrauliciens, au sein même de cette administration. Les différents articles que nous avons consultés font apparaître plusieurs tendances. Fin XVIIIe-début XIXe siècles, défenseurs et détracteurs, notamment en ce qui concerne les matériaux à employer, rivaliseront de phraséologie. Le fer, fourni par l'industrie, fait son entrée dans le monde moderne. Le bois et la pierre restent les matériaux nobles, pour les conservateurs. Le fer est décrié comme étant une mode venue d'Angleterre, qui n'aurait pas de belle pierre, selon ses détracteurs. La pierre et le bois restent les fleurons des constructions françaises. Crétet, alors Directeur général des Ponts et chaussées, trouve une grande économie à utiliser le fer, ce qui fut longtemps débattu. Napoléon III, qui veut reconstruire le Pont-au-Change (1858-1860) hésite devant plusieurs projets. Pour les conservateurs, l'innovation des ponts de fer n'est qu'une imitation de ce qui se fait en Angleterre. Le pont est finalement construit en pierre. On peut encore aujourd'hui y voir le monogramme de l'Empereur.

Seuls le temps et l'expérience pourront se prononcer sur ces différentes opinions. Dans la liste du rapport de Courtin sur les travaux des Ponts et chaussées depuis 1800, de nombreux ponts construits sur les territoires français et leur frontières, entre le mi XVIIIe et le début du XIXe siècles, sont en bois et pierre. Ils suivent le classement des routes, leurs usages et les budgets des ingénieurs. Le fer est vraiment réservé à des spécialistes.

L'ingénieur Lamandé, en 1802, réalisera le pont d'Austerlitz, à Paris, sous la direction de Becquey-Beaupré, selon le principe anglais de l'arche de fonte.

L'ingénieur Marc Seguin défendra la technique anglaise des ponts suspendus. Ils auront du mal à être reconnus en France. Il y aura 68 ponts Seguin en France, et 186 à l'étranger. En 1982, trois ponts suspendus, de la génération des ponts Seguin, seront classés monuments historiques : le prototype de 1824, lancé à Saint-Fortunat-sur-Eyrieux (Ardèche), celui de Fourques (Gard), lancé en 1830 en deux portées sur le petit Rhône, et celui de Mallemort (Vaucluse), lancé en 1842 sur la Durance.

cezy verticalUne petite anecdote instructive : c'est après bien des réticences de la part de certains ingénieurs de l'administration française des Ponts et chaussées que l'on autorisa, en 1824, la construction du premier pont suspendu sur le Rhône, entre Tain et Tournon. L'ingénieur et inventeur Marc Seguin s'est battu face aux conservateurs pour cette nouvelle technique. Il doit construire le pont à ses frais. En contrepartie, il obtient un droit sur les bénéfices hypothétiques de 99 ans de péages. Le 25 août 1885, l'ouvrage sera reconnu apte à l'usage. Dans l'Yonne, à Cézy, à quelques kilomètres de Joigny, il reste une de ces magnifiques constructions hydrauliques, qu'une poignée de personnes passionnées essaie de sauver : il s'agit d'un pont suspendu de 1846, dont l'architecte serait Ferdinand Jean Bayard de la Vingtrie.

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Conclusion

Depuis la première planche, posée en travers d'un cours d'eau, depuis que l'homme navigue, depuis qu'il trace des chemins, qu'il se déplace seul ou en tribu, depuis qu'il cherche à se protéger des prédateurs de tout poil, les ponts font partie de son quotidien.

Les religions, polythéistes ou monothéistes, les ont souvent intégrés, et dans leur rituel et dans leur croyance, le cours d'eau étant lui même vénéré et craint, tel un dieu. Les prêtres de toutes obédiences les utilisaient dans leurs homélies. Le titre de pontife était, dans la religion de Rome, donné aux grands prêtres qui présidaient à tous les grands moments importants de la cité, du sacrifice sur le pont Sublicius au couronnement des imperators. Les hébreux ont aussi leur Grand prêtre Pontife, les chrétiens donneront le même titre au Pape. Titre d'excellence, le pontife sert de passerelle entre les dieux et les hommes.

Les ponts deviennent assez vite un enjeu politique et religieux. Les Romains invitent, intègrent ou remplacent les divinités des peuples conquis, dans des cérémonies présidées par leur prêtrise. L'Église chrétienne reprendra ces cultes en les adaptant à ses besoins. Avec la mode des reliques, les ponts auront un saint ou une sainte qui leur seront rattachés, suivant les canons du dogme.

Les changements d'organisation territoriale, qui font suite à l'administration mise en place par la Rome incursive, ouvrent une nouvelle ère d'échanges commerciaux. Assez vite adoptés par certaines cités celtes, qui deviennent des centres administratifs importants. L'implantation tactique des ponts est une réponse aux divers besoins correspondant.

Stratégiquement, la nécessité d'implanter des voies de communication plus larges et plus solides, de construire des ponts, et des ports, pour faciliter la rapidité et l'accessibilité des cités de négoce, devient primordiale. Le confort des constructions celtes et toute l'administration sont repensés. Des gouverneurs, nommés par Rome, construisent dans les plaines de vastes demeures à la mode, protégées par de hauts murs. Quelques aristocrates Gaulois, des différentes tribus celtes, s'adaptent, s'intègrent, et deviennent de hauts fonctionnaires à la solde de Rome. Ils utilisent cette influence pour s'enrichir. Les nouvelles infrastructures permettent de se déplacer plus rapidement, le commerce prospère. L'administration des ponts et des routes devient une part importante, et symbolique, pour affirmer l'autorité de gouverneurs évergètes84, un temps, soucieux de plaire à Rome.

Mais la paix n'est pas dans la nature de l'homme. Le déplacement des troupes, pacifique ou non, ne pouvant se faire qu'aux périodes propices au passage à gué, des ponts mobiles sont construits rapidement. Les armées importantes, surtout celles ayant l'habitude de climats doux, ne se déplacent pas sans leurs charpentiers et leur navigateurs. Les "Barbares" ont souvent des cavaliers aguerris aux climats. Ils passent à la nage, à défaut de gués ou de ponts.

Les mentalités ont changé, Rome domine, s'intègre, et va se dissoudre… Bientôt la croix des religions chrétiennes va remplacer l'Aigle de Rome, et va rythmer l'histoire. Les premiers siècles de la nouvelle ère subissent des guerres civiles et militaires qui ébranlent l'Aigle et imposent d'autres allégeances.

Archevêques et évêques vont être placés sur de larges territoires aux côtés des gouverneurs et des monarques. Ils deviennent de puissants instruments politiques et spirituels, tout comme le furent les grands empereurs romains. Ils représentent le Dieu unique et vainqueur. Les gouverneurs charismatiques deviendront les hauts fonctionnaires de l'Eglise. Ils passeront à la postérité comme hommes saints, canonisés. Les gros propriétaires, défenseurs et administrateurs des fragments de l'empire en décadence, prennent le pouvoir.

Le commerce, l'industrie, et la guerre, restent toujours prioritaires. On change les têtes, mais pas la cupidité du pouvoir. Les ponts des voies terrestres et navigables, ainsi que les impôts et taxes qui s'y rapportent, enrichissent les caisses de ces nouveaux tyrans.

L'époque féodale apporte de nouveaux mouvements guerriers, religieux ou non. Villes et villages sont fortifiés, des tours de défense sont érigées. Les ponts doivent retarder, voire dissuader les ennemis éventuels. Construits en bois, leur plancher peut être retiré ou brûlé. Les ponts de bateaux démantelés. Les pont-levis permettent de se retrancher derrière de hauts murs. Si le pont a des piles en maçonnerie, symbole de puissance du seigneur du lieu, il y a toujours un plancher de bois proche des remparts. La mode du siège devient imparable, on se protège, mais on a des difficultés à se ravitailler. Pas de panique, il y a toujours une issue de secours, mais les assiégeants sont parfois très vigilants.

Avec les constructions en pierre du XIe siècle, dit "siècle des lumières", on verra la réalisation de prodiges hydrauliques remarquables. Ils seront reconnus œuvres pies, et iront de pair avec les grands édifices religieux. Des écoles monastiques enseigneront leur construction, imposant leurs canons dogmatiques. Dans les premiers temps, les grands ponts de pierre seront stratégiques et glorieux. Il permettront de voyager en toute saison, remplaceront avantageusement les gués. Ils relieront villes et territoires, dans un esprit de paix. Ils symboliseront la puissance des alliances politiques et spirituelles. On construira, en parallèle, lieux de cultes, hospices et hôpitaux.

Devenus des lieux stratégiques, donnant accès à des villes et territoires à annexer, ils seront fortifiés. Ils deviendront aussi les lieux de rencontres frontalières, plus ou moins cordiales. Ils seront les témoins de bien des batailles et de leur lot de morts.

Incontournables à toutes les époques, le XVIe siècle verra exploser leur construction, que ce soit en bois, symbole d'économie, ou en pierre, symbole de puissance. On imposera une législation pour leur entretien. Les rois, empereurs et grands hommes d'Etat soutiendront les écoles, les guildes, devenues laïques et très professionnelles. L'administration des Ponts et chaussées sera un poste important de tout gouvernement.

Depuis Henry IV, les organismes qui gèrent les voies terrestres et navigables du territoire français n'ont cessé d'évoluer. Le visage du paysage urbain, plus sûr et plus confortable, que nous connaissons, leur doit beaucoup.

Aujourd'hui, ne sommes-nous pas oublieux de l'Histoire, qui a fait s' adapter l'environnement à nos exigences ?

Prenez le temps, arrêtez-vous , regardez. Suivre une rivière, un fleuve, un petit cours d'eau, un torrent, c'est souvent apaisant. Les ponts qui vous permettent de traverser ont plein d'histoires à vous raconter, écoutez-les, vous serez étonnés...

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Jeton de la Compagnie des bateaux à vapeur du Rhône, 1830 :
les fleuves suivent leur cours, le progrès suit le sien
(photo iNumis ; remerciement à M.S.Sombart).

 
 
Plusieurs articles illustrent cette histoire des ponts,
il suffit de cliquer dessus, et c'est aussitôt l'aventure...
- Les ponts et les dieux,

Notes

1) M. Jean-Pierre Guiol, né en 1925, ingénieur des Arts et Métiers d'Aix en Provence, promotion 1943-1946. Auteur de plusieurs livres et conférences, notamment sur les ponts.

2) Pierre Larousse (1817-1875) encyclopédiste et lexicographe Français, né a Toucy dans L'Yonne, rédacteur du"Grand dictionnaire du XIXe siècle" en 15 volumes, parus entre 1866 et 1888 ; il mobilisa 89 collaborateurs qui, hélas, ne signèrent par leurs articles; cette parution eut un énorme impact social.

3) Champs Catalauniques, bataille opposant les forces coalisées romaines et germaniques contre les troupes d'Attila en 451. Cinq sites de plusieurs communes revendiquent l'emplacement de la bataille, toujours dans un périmètre autour de Troyes. Pour certains des chercheurs commandités par Napoléon III, ce pourrait être près de Châlons-en-Champagne, dans la commune de La Cheppe....

4) Jean Lebeuf est né à Auxerre le 6 mars 1687 et mort le 10 avril 1760, prêtre, historien, auteur de bon nombre de publications historiques.

5) Jean-Baptiste Prosper Jollois, né en 1776 à Brienon-l'Archevêque (aujourd'hui Brienon-sur-Armançon), mort en 1842 ; ingénieur, égyptologue, auteur de plusieurs publications, fait ses études à Joigny dans l'Yonne en 1787, entre à Polytechnique en 1794. Il est membre de l'expédition française d'Egypte en 1798.

6) Alexandre Colin, né à Dijon en 1808, mort en 1890, ingénieur en chef des Ponts et chaussées dès 1850, polytechnicien, auteur de plusieurs publication dont Le pont des Tournelles à Orléans, à consulter à la BnF.

7) Bruno Dumézil, né en 1976, Historien spécialiste du Haut Moyen âge, professeur à Sorbonne Université , auteur de plusieurs ouvrages et maître de conférences.

8) Louis Bruguier-Roure (1847-1910) ; vous pouvez voir sur Wikipedia une magnifique gravure des bâtiments de l'œuvre des Hospitaliers, extraite d'un fichier de Bruguier-Roure de 1890 : en premier plan les bâtiments de gauche de l'Hospice et l'entrée de la chapelle du Pont-Saint-Esprit ; un cheval avec une charrette s'engage sur le pont ; au loin, on aperçoit l'autre porte du pont. Bruguier est auteur de plusieurs publications, notamment cartographiques, sur Pont-Saint-Esprit et l'histoire de sa région, à consulter sur Gallica. L'auteur était inspecteur de la Société Française d'Archéologie pour le département du Gard, historien local, membre de l'Académie de Nîmes et de Vaucluse.

9) Bibracte est une ville gauloise, près d'Autun, au cœur du Morvan , aujourd'hui grand site archéologique et pédagogique, avec un musée qui retrace l'histoire du lieu. www.bibracte.fr

10) Evergète : riche notable qui pourvoit aux dépenses publiques par ses dons.

11) Sic. En fait, l'emblème de Diane de Poitiers consistait en trois croissants entrecroisés.

12) L'Elbe, fleuve d'Europe Centrale, qui prend sa source en Tchéquie et parcourt l'Allemagne ; au IXe s., il marque la limite de l'Empire franc.

13) Adon est né dans le Gâtinais alors diocèse de Sens (Yonne) vers l'an 800 et mort vers 875. Ne pas confondre avec son homonyme, né vers 600, mort vers 670, qui fonda le monastère de Jouarre ( Seine et Marne).

14) Renard II de Sens, mort en 1055, est le quatrième et dernier comte de Sens. Il descend de la dynastie des seigneurs médiévaux, les Fromonides, le premier étant Fromond 1er qui donnera le nom de la dynastie. Renard II a de nombreux démêlés avec l'archevêque de Sens, Léothéric, ce qui lui apportera le sobriquet de "le Mauvais"; il n'a pas hésité à présenter son fessier au prélat, afin que ce dernier y pose le baiser de paix... ce qui ne risquait pas de le mettre en odeur de sainteté !!

15) L'abbaye bénédictine de Royallieu est située sur la commune de Compiègne ; elle est fondée en 1308, par le roi Philippe le Bel, suivant les règles de Saint Augustin. Elle est incendiée en 1334. Epargnée par le siège de Compiègne en 1430, elle sera rattachée, en 1624, à la congrégation de Sainte Geneviève. La communauté religieuse est dispersée en 1792. Elle avait déjà perdu de sa crédibilité quand, en 1765, le Dauphin de France, en la visitant, contracta une grave maladie. Elle fut transformée en hôpital militaire après cette date. Elle a donné son nom au camp nazi voisin, tristement célèbre.

16) Minage : mesurage ou vente des grains; droit perçu sur les grains ( blé, épeautre, avoine..) vendus au marché. Chaque unité de mesure était spécifique à une ville. L'étalon de la corporation du lieu était indiqué à un endroit particulier sur chaque marché. On peut voir encore aujourd'hui l'étalon des drapiers, sur le mur d'un immeuble de l'ancienne place du marché, à Besançon (Doubs).

17) Marius Gilles : écrivain, auteur d' un feuilleton dans le journal de Montélimar, en 1935, relatant des faits historiques dans le Tricastin.

18) Chanoine Hubert : généalogiste orléanais du XVIIe siècle.

19) Claude-Antoine Circaud (1752-1796), né à La Clayette (Saône-et-Loire), Docteur en médecine, conseiller du roi.

20) Duchesse de Schomberg, née à Paris en 1600, morte en 1674, auteure de plusieurs recueils du savoir-vivre pour toutes les jeunes filles chrétiennes et de bonnes familles, grand-tante du marquis Jacques François de Hautefort.

21) Une excellente synthèse historique, achéologique et technique de l'histoire du Pont d'Avignon figure dans  : ROUQUETTE (Jean-Maurice), Provence romane - I. La Provence rhodanienne, Zodiaque, coll. La nuit des temps, 1974. Il y apparaît qu'un pont de bois a pu exister à l'époque romaine, que Bénezet l'a rétabli sur des piles de pierre, et que ce sont les papes d'Avignon qui ont fait ensuite réaliser le pont de pierre. Mais le chapitre mérite mieux que ce résumé.

 

 

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