IV. Histoire de Vézinnes
Vézinnes est aujourd’hui un village de l’Yonne peu connu. Notre enquête n’a fait au départ que s’intéresser à l’illustre famille des Stuart. Les chemins qu’elle nous a fait suivre n’ont fait qu’aiguiser notre boulimique curiosité. Nonobstant son château, ce village et ses environs recèlent bien des surprises.
Nous nous sommes tout d’abord penchée sur la toponymie du lieu. Un imposant article dans les ‘’Mémoires de la Société archéologique d’Eure-et-Loir’’ développe les différents noms de lieux et nous a donné une piste. Nous vous passerons les querelles dont l’article ne manque pas de nous abreuver. Passons directement à ce que nous avons relevé et qui nous semble le plus pertinent, voire le plus amusant.
A partir de la page 62, on définit les survivances dialectiques :
Dans le Perche, M. Antoine de Layre nous dit que vésine signifie fontaine.
En Anjou, jusqu’en 1968, M. Bore nous dit que vézer est égal à pleurer, pleurnicher, et que vézinée est égale à une averse en français populaire, et vaser, à pleuvoir.
En Eure-et-Loir, M. J. Poutoire a trouvé un homonyme de vézin et vésier en 1868, qui serait égal à perdre son temps à des bagatelles. Mais passons à la conclusion de cet article : le plus grand nombre, du moins, des toponymes du type V oi/és/zin(e) (S), n’auraient rien à voir, contrairement à l’idée reçue, avec quelque dérive du latin Vicus (quartier, rue).
Ils reposeraient sur une forme germanique apparentée à WISA (de l’allemand WIESE = prairie), désignant une zone humide, située à proximité immédiate d’un cours d’eau, ou d’une zone inondable par une rivière majeure, qui sort de son lit, occupée par une formation végétale ouverte de type prairie et exploitée en pacage (pâture médiocre) en complément, et boisée. L’implantation des villages portant ces noms daterait pour l’essentiel du haut Moyen-Âge, vraisemblablement du premier royaume Franc, avant le traité de Vouillé, vers 507 (Époque de Clovis 466 -511).
Dans la langue de Rabelais, Veze est égale à cornemuse, dans le sens de mufle.
Vézine est aussi un vent du sud.
Dans la revue des ’’ Statistiques géologiques de l’Yonne ‘’(1815-1905), nous trouvons un article de M. Victor Raulin, qui corrobore l’analyse de toponymie. Il décrit Vézinnes ainsi : superficie 630 hectares ; altitude 277 m ; plateau au Sud-Ouest. Village situé au bord de la pleine de L’Armançon, au débouché de plusieurs petits vallons. Bonne fontaine qui ne tarit pas et abreuvoir. Autres fontaines à 100 m du village dans la prairie et d’autres près du chemin de Roffey. Pentes inférieures marneuses, à débris calcaires, couvertes de vignes qui produisent plus qu’à Épineuil. Les principaux coteaux sont : Les Courois- le Clos, et Grandes Vignes. Production d’excellents fruits vendus à Tonnerre. On trouve beaucoup de noyers dans les vignes.
Dans le ‘’Grand dictionnaire de cuisine’’, d’Alexandre Dumas (p. 581), l’épicurien donne la liste des vins de l’Yonne en rouge et en blanc, et cite Vézinnes parmi plus de trente dénominations. La production de vin dans la région était réputée pour son abondance et donc faite pour la consommation courante et son important commerce. Dumas dit qu’ils ne sont ni lourds, ni grossiers, ni pâteux, ni plats.
Dans ‘’ Les primes d’honneur et médailles de spécialités…’’ (1869-1878), p. 373, on trouve le paragraphe suivant : « Les arbres occupent d’importantes surfaces … Cette culture a pris naissance quand Jean Stuart, connétable de Charles VII, fit venir en France une colonie d’Ecossais pour construire des habitations et défricher les terres abandonnées. »
Dans le ‘’ Répertoire archéologique de l’Yonne’’ par M. Quantin (1868, p.277), nous apprenons qu’à Vézinnes, sous le porche de l’église Saint-Nicolas (XII - XVIe s), une inscription indique que le 10 avril 1668, Vézinnes fut brûlé jusqu’au nombre de 114 bâtiments, et que le 11 mai de la même année, les vignes furent gelées. Que la confrérie des tonneliers y est bien représentée. L’article ne nous apprend rien sur le château, si ce n’est qu’il n’en reste que deux pavillons isolés l’un de l’autre.
En 1709, on connut un hiver des plus rigoureux, qui causa une grande misère sur toute l’Europe (document de l’état civil de Vézinnes, archives nationales). De grosses gelées firent d’énormes dégâts. D’abord du 6 janvier au 24 janvier, puis 24 jours consécutifs en février, et 10 jours en mars de cette même année.
A l’époque de la conquête romaine, plusieurs routes militaires, dont le’’ chemin de César’’ assuraient la communication entre Sens, Alise-Sainte-Reine et Langres. On trouve encore une belle portion de cette route, avec son empierrement si particulier, sur 20 km, de Vergigny à Tonnerre.
Dans le ‘’Bulletin des sociétés des sciences historiques du Tonnerrois’ , on trouve citées plusieurs pièces en parchemin dont un Vidimus provenant des notaires de l’officialité de Langres, dont le testament d’un dénommé Herbert de Vézinnes, daté d’août 1265. Cela nous amène à penser que certaines censives étaient perçues par l’évêque et duc de Langres, et que les terres de Vézinnes et de Fontaine-Géry étaient à des seigneurs qui étaient ses vassaux.
Le château.
Sur le site ’’Châteaux de France’’, on nous donne une description du château de Vézinnes : « L’édifice domine la vallée de l’Armançon. Il est accolé à l’église. Il ne subsiste que deux bâtiments primitifs, quatre tourelles avec orifices de tir. Les deux bâtiments devaient être raccordés par une galerie en terrasse avec trois arceaux, qui masquait le corps de bâtiment principal. La galerie fut détruite vers 1820. Un verger et un potager devaient être en contre bas. »
Nous nous sommes penchée sur l’analyse des extérieurs qui subsistent, en tenant compte des données historiques trouvées dans quelques livres sur l’architecture. Nous sommes partis de la date, 1540, qui est celle que nous retrouvons dans les différents textes actuels, et qui serait celle de la construction du château. Auguste Choisy dans ‘’Histoire de l’architecture’’, et Marius Vachon dans ’’ La Renaissance Française’’, nous ont donné quelques pistes prédigérées des écrits de Viollet-le-Duc, entre autres.
Choisy décrit les deux périodes de la Renaissance : 1498-1540, puis 1540-1559. La seconde est plus soucieuse de symétrie. Toutes deux sont influencées par les conquêtes d’Italie que les différents monarques ont menées. Nous porterons exclusivement notre regard sur la forme extérieure car nous n’avons pas visité le château. Le concept intérieur devrait rester ’’à la française’’ d’après les différentes données. Le plan italien est en enfilade ; en France, les services sont nettement distincts et groupés dans un corps de bâtiment à usage spécifique. Les escaliers sont disposés sans souci de symétrie. Les matériaux, dans une construction de la Renaissance à l’italienne, associent les briques et les pierres, ou les moellons avec une ligne de briques. Le ravalement est introduit à cette époque. Choisy souligne toutefois que l’influence locale (lieu et géographie) détermine la construction extérieure. Pour la décoration intérieure, les modes et les goûts des propriétaires entrent en jeu.
Ravalement : ragrément d’un ouvrage de pierre que l’on gratte pour le nettoyer, ou : enduire au plâtre ou au mortier de chaux une construction (Larousse du XIXe s).
Vachon a plus de pragmatisme. Il nous informe que le plus souvent les vieux manoirs, forteresses féodales ou châteaux de plaisance, sont transformés, remis aux goûts et aux besoins du moment, par les propriétaires. Souvent, des styles juxtaposés s’accordent plus ou moins, lors de la réhabilitation des édifices. Tous les personnages ayant un haut emploi à la cour, que ce soit militaire, civil ou religieux, suivent le grand exemple donné par les rois. Les seigneurs des lieux font intervenir les maîtres maçons, tailleurs de pierres, qui ont grand soin de conserver le dispositif topographique général créé au Moyen-Âge. La pratique du ravalement s’introduit à la Renaissance, agrémenté d’ocre locale ou importée. Charpente et combles, en pentes raides, suivent les influences du style ‘’fermette’’ gothique jusqu’au XVe s. Ce qui est typique de l’architecture privée. Les chéneaux sont d’un emploi courant au Moyen-Âge ; ils sont rares à la Renaissance. Ordinairement, les tuiles d’extrémités débordent de la corniche et laissent goûter les eaux. Dans tous les édifices antérieurs à 1540, le dessous de la corniche est plat. Dès que l’on reprend les corniches classiques, on fait disparaître le revers d’eau. C’est caractéristique de la première Renaissance. Les arêtes des murs extérieurs sont vigoureusement accentuées par de grosses pierres d’angle qui décroissent de la base au sommet pour un effet de perspective, si les murs ne sont pas recouverts. Les encadrements des fenêtres font corps avec le reste de la construction.
Viollet-le-Duc nous parle des tourelles cylindriques ou à pans, dont on fait grand usage entre le XIIe et le XVIe siècles pour les hôtels particuliers, les manoirs ou de simples maisons. En général fermées, elles ne communiquent que par une porte. Elles ont soit l’usage de pièce, avec une ouverture servant selon les besoins du moment (pour voir d’éventuels attaquants, ou pour surveiller les jardiniers) ou renferment un escalier à vis qui permet de communiquer avec d’autres étages.
Quant à la pierre employée, les carrières du Tonnerrois offrent un calcaire blanc à grains fins très apprécié. Les pierres sont le plus souvent taillées dans les carrières, à l’air libre, puis acheminées par chariots ou bateaux. Les carrières d’ocre sont nombreuses dans la région de l’Yonne. Les enduits d’intérieur et d’extérieur en font usage. Les artistes peintres, locaux ou commandités, utilisent ces pigments pour les fresques ou peintures murales. Voir les parutions et le site de l’association de M. Félicien Carli ‘’Terres et couleurs’’.
A noter que la profession d’architecte, telle que nous la concevons aujourd’hui, n’existait pas. Le Maître-maçon, tailleur de pierres, faisait les plans, gravés dans la pierre ou le sable, quelquefois sur papier mais c’était très cher pour le Maître maçon. Sa renommée pouvait être locale, ses influences et son expérience avoir été acquises aux cours de ses déplacements lors d’autres chantiers. Son nom passait le plus souvent dans l’oubli. Vachon nous livre le nom d’un grand nombre de ceux dont il a retrouvé trace, mais en général, la postérité n’en a pas fait cas. François 1er anoblira le premier des Maîtres-maçons dont il fut satisfait, ce qui donnera une autre vision de cette profession.
Conclusions : au vu de ces diverses informations, nous nous permettons de faire les suppositions suivantes : archéologiquement, un grand nombre de tombes et d’objets usuels ayant été découverts en ce lieu, l’occupation de Vézinnes pourrait remonter à l’époque gallo-romaine. A cette époque, la ‘’voie de César‘’ conduisait en affluence commerçants et militaires. Sur le site, et au vu des documents liés à l’apport de finances données pour l’entretien d’une garnison, nous pensons qu’une forteresse défensive était déjà présente au moins en 1300. La rue en contrebas du château, appelée la rue des Fossés, est longée par le ’’ru de Vézinnes’’ qui se jette dans L’Armançon. Des fossés devaient donc être alimentés par ce petit cours d’eau qui provient d’un torrent que l’on retrouve à Tonnerre. L’étymologie de Tonnerre, Tornodurum, signifie en langue celte : ’’près d’un torrent‘’ (Larousse du XIXe s.). Si l’on tient compte de l’étude toponymique, Vézinnes remonte au moins à l’époque franque. On peut donc supposer qu’un « village » ou un ensemble de maisons (dans les vieux recensements on appelle cela des feux) existaient sur cette butte. Le lieu est idéal pour profiter des ressources en eau, pâturages et bois. L’Armançon, réputé pour ses poissons, était une rivière navigable à certaines époques. Il apportait son concours pour les divers transports et l’alimentation.
Les guerres de cent ans, et les allégeances des divers seigneurs qui se sont succédé à Vézinnes, nous amènent à penser qu’une forteresse pouvait avoir son importance en ce lieu. Certains de ses habitants y ont reçu des privilèges (Voir chapitre précédant). Toutes ces informations nous conduisent à supputer que, lors de l’acquisition du fief de Vézinnes par la famille de Laing, il pouvait rester quelques bâtiments d’une ancienne forteresse. Leur fille (Claude), l’apporte en dot au moment de son mariage avec Jean Stuart. Dans le canton de Tonnerre, au château de Béru, se trouvait à l’époque de M. Quantin, un portrait de Jean Stuart, écossais, seigneur de Vézinnes, capitaine de François 1er.
Ils font restaurer le château aux goûts et aux besoins du moment. L’époque ne se prêtant pas non plus au domicile fixe, le château peut avoir été restauré pour servir aux besoins de la famille quand celle-ci se rendait sur ses terres. Si l’on observe attentivement les deux ailes asymétriques qui restent et leurs tourelles d’angles (deux sont à pans et deux sont rondes), on se rend compte que le château pourrait avoir eu plus d’un commanditaire, et ce, en différentes années. Mais rien n’empêche de penser qu’à l’époque de sa réhabilitation par Jean et Claude Stuart, il a pu ressembler un tant soit peu au château de Gaillon (dans l’Eure, et avant sa transformation sous la Renaissance) avec sa galerie et ses deux tours enfermant un jardin. Nos hypothèses sont confortées par celles du site « chateauxdefrance », selon lequel « les deux pavillons étaient primitivement réunis par les trois arceaux d’une galerie en terrasse masquant une cour derrière laquelle se trouvait le corps du bâtiment principal et qui ne fut détruite que dans les premières années du XIXe siècle, vers 1820 (…). A droite s’élevait la chapelle et l’entrée principale était située du côté du pays, flanquée d’une tour avec herse et pont-levis. »
Il serait intéressant de voir du ciel le site pour retrouver d’éventuelles traces de l’ancienne enceinte. Sans compter que les guerres de religion et la Révolution Française ont dû accélérer son démembrement. Comme beaucoup de ces édifices, les pierres taillées, sculptées ou non, ont pu servir pour les maisons alentour ou bien être vendues. La Révolution Française a contribué certainement à la dispersion des meubles et au saccage du lieu.