MARC  LABOURET

2 - Islams et violence

L'islam est-il violent ? Oui et non. La violence est-elle musulmane ? Pas seulement !

La deuxième limite de la tolérance, telle qu’énoncée dans le chapitre introductif, concerne les appels à la violence. Un des lieux communs à propos de l’islam tombe précisément sous cette accusation : l’islam serait violent par essence, par nature, de naissance… La violence serait inscrite dans le Coran qui est son code génétique. Si c’était vrai, nous sommes bien d’accord : c’est une religion entière qu’il faudrait condamner et combattre. Le quart de la planète. Mais si nous la présumons innocente, cela mérite analyse et réflexion.

La violence et les textes.

Le Coran appelle-t-il à la violence ? On ne me fera pas croire que les Français qui le pensent l’ont tous lu. Faisons-le pour eux. Combien de versets font-ils allusion au jihad ? Le mot est employé 57 fois, sur 6236 versets. Comment le comprendre, et selon le contexte de son emploi ?
La meilleure traduction étymologique du mot serait zèle, plutôt que combat. Il s’applique aussi bien à la conversion de soi-même qu’à la conversion des infidèles. Dans plus de la moitié des cas, le mot jihad, traduit comme lutte par Denise Masson, se trouve dans des phrases du type « Luttez dans le chemin de Dieu », qui s’appliquent autant et même plus à la conversion intérieure qu’à la guerre sainte.
Un certain nombre de versets parlent de la guerre sans y appeler : il s’agit de considérations tactiques ou morales sur le comportement à la guerre : appel au courage, condamnation des lâches, glorification des anciens combattants, attitude envers les prisonniers ou le butin. Ces considérations peuvent s’appliquer aussi bien aux combats entre Musulmans que contre les infidèles. Elles ne sont pas différentes de celles qu’on pourrait émettre au cours d’une guerre dans toute autre civilisation.
Souvent, le combat évoqué est une légitime défense, on approfondira ce point plus loin.
Au bout du compte, les versets coraniques qui peuvent être considérés comme des appels agressifs à la guerre de conquête sont assez rares. J’en trouve cinq. On reconnaîtra au moins que la violence n’est pas le message principal de la révélation coranique. Ces versets méritent évidemment d’être replacés dans leur contexte, puisqu’ils sont énoncés alors que Mahomet et ses disciples se battent pour imposer leur doctrine aux autres Arabes.
Certes, le système de pensée analogique des juristes-théologiens musulmans permet d’en étendre la portée à volonté. Le jeu des petites phrases est ici redoutable, qu’il soit employé par les oulémas et muftis, ou par les islamophobes. De la part de ces derniers, il est d’autant plus risqué qu’il s’appuie sur des traductions, dont on sait qu’elles sont toujours trahisons - et c’est encore plus vrai de langues aussi différentes que sont l’arabe et le français, reflets de modes de pensée bien différents aussi.

En dehors du Coran, on peut trouver des occurrences intéressantes du mot jihad, qui en enrichissent et en compliquent la signification. Ainsi un hadith dit : « Le meilleur jihad est un mot juste adressé à un sultan injuste ». Habib Bourguiba employait le terme pour appeler les Tunisiens au combat économique : au travail !

(Août 2020) Relativisons encore ! Selon l'historien Jean-Yves Le Naour, "1914 est le début de la djihadisation de l'islam." Il précise que l'appel au djihad global est à l'origine un concept de Max von Oppenheim, conseiller de l'empereur allemand Guillaume II. L'idée d'une "insurrection islamiste" est alors insufflée au sultanat ottoman, allié de l'Allemagne, pour justifier aux yeux des Musulmans la participation à la guerre mondiale. Ah ! Le bois dont on fait les boomerangs ! (Le Naour (Jean-Yves), Djihad 14-18, Perrin, 2017)

Relativisons les écritures, même saintes. Et supposons que les occidentaux qui critiquent le Coran ont au moins lu la Bible, et sont à même de faire des comparaisons pertinentes. Si l’on condamne l’Islam parce que son texte fondateur est violent, ne doit-on pas condamner tout autant le judaïsme et le christianisme ?
J’entends bien souvent des Chrétiens mettre en exergue le fameux mot, tiré de l’épitre attribuée à Saint Jean, disant que « Dieu est amour ». Faut-il rapprocher cette citation, unique dans la Bible, des deux versets du Coran qui lui sont comparables ? Ce ne sont des arguments sérieux, ni dans un sens, ni dans l’autre. Si l’on veut prendre la Bible en exemple, on y trouve aussi de belles pages de massacres. La plus édifiante est probablement ce passage où Moïse reproche à ses troupes de n’avoir tué que les hommes du peuple madianite, et leur ordonne d’exterminer femmes et enfants, ne laissant la vie qu’aux petites filles, réduites en esclavage (livre des Nombres, chap.31). Certes, il y a une évolution des doctrines et des mœurs entre le temps de Moïse et celui de Jésus. Cela montre qu’il peut y avoir des progrès de la pensée. Cela montre aussi que les textes fondateurs peuvent ne pas être indéfiniment pris à la lettre. Ceux qui relativisent la Bible ne doivent pas fossiliser le Coran.
D’ailleurs, si un évangile sensé être d’amour a occasionné tant de violences, pourquoi un coran sensé être de violence ne susciterait-il pas de l’amour ?

Il n’y a pas que la Bible. Si nous trouvions dans un livre saint musulman les phrases « L’Islam nous appelle, sachons vaincre ou mourir ! Un Musulman doit vivre pour l’Islam et mourir pour lui ! », nous serions légitimement fondés à trouver cela violent et intolérable. Vous avez pourtant reconnu une paraphrase du Chant du Départ, texte du franc-maçon Jean-Baptiste Chénier et musique du franc-maçon Méhul : « La République nous appelle,… pour elle un Français doit mourir ! » 

Légitime défense

Chez les Ibadites, l’usage de la violence est prohibé, sauf pour se défendre. Historiquement, ils ont refusé de prendre parti pour ou contre le parti d’Ali, ils ont refusé de participer aux guerres de conquête. C’est la plus ancienne école de l’Islam, fondée 50 ans après la mort de Mahomet. Certes, les Ibadites ne représentent aujourd’hui que 1 % des Musulmans. Cela fait tout de même 16 millions, plus que d'habitants dans 137 pays indépendants. On en trouve au sultanat d’Oman, en Algérie, en Tunisie, en Afrique de l’est. Leur existence suffit pour inciter à ne pas généraliser la théorie de l’islam guerrier. Un cygne noir suffit pour que tous les cygnes ne soient pas blancs.
De fait, on l’a vu, la plupart des versets coraniques qui justifient la lutte armée le font dans les cas de légitime défense. Pour la plupart des juristes-théologiens musulmans, la guerre est justifiée quand son pays est attaqué. Le mythe de l’unicité de l’Islam permet aux intégristes d’étendre cette légitimité à tous les cas où des Musulmans sont menacés. Cela explique le recrutement multinational des combattants de Tchétchénie, d’Afghanistan, ou de Daesh.

Guerres de conquête

Bien évidemment, on est en droit d’attendre que ceux qui condamnent, à juste titre, les guerres de conquête musulmanes, condamnent de même toutes les colonisations. A commencer par les croisades jusqu’aux guerres coloniales, celles de la République Française, celles d’Amérique, de Russie tsariste ou soviétique, de Chine au Tibet, d’Israël en Cisjordanie, et tant d’autres. Pas un peuple, pas une civilisation n'est innocent. Cela fait, ils admettront sans difficulté que l’islam n’a rien inventé de plus condamnable, et qu’il n’y a pas lieu de le considérer comme plus intolérable que tous les exemples historiques intolérables.
A remarquer que le peuple qui fut le plus conquérant, et l’un des plus massacrants, de l’histoire de l’humanité, le peuple mongol de Gengis Khan, fut aussi le régime politique le plus laïque qui ait jamais été. Dans la horde qui déferla du Japon à l’Adriatique, cohabitaient des tribus animistes, musulmanes, bouddhistes et chrétiennes (nestoriennes). La paix mongole acceptait toutes les croyances. La mémoire collective arabe retient que la tribu qui détruisit et pilla Bagdad, la Bagdad des Mille et Une Nuits, était chrétienne. La guerre sainte des Mongols était dirigée contre les villes, évidemment corrompues, et contre les sédentaires, évidemment accapareurs (« Nous autres, sur nos chevaux, n’entendons rien aux semailles… » Relire ce beau poème de Victor Ségalen, Libation mongole).
On pourra m’objecter que les Français, les Russes, les Américains, les Israéliens, et les Chinois ne colonisent pas au nom d’une religion, et que la comparaison doit porter sur les seules religions. Dans ce cadre, l’islam serait né dans la violence, et s’appuierait sur des textes violents, ce qui n’est pas le cas, par exemple, du christianisme.
Voire. D’une part, les idéologies colonialistes sont nées dans des civilisations chrétiennes. Les missionnaires ont souvent été encouragés à accompagner les militaires et administrateurs coloniaux de la République. Le premier prétexte de la conquête de l’Indochine, qui fut violente, fut la protection de « nos » missionnaires (d'ailleurs le plus souvent espagnols).

(Ajouté en mars 2022) Deux citations peuvent aussi permettre de relativiser le choc des civilisations. La première est issue de la lettre testamentaire du calife de Cordoue  Al-Hakam II à son fils : "Ne fais pas la guerre sans nécessité. Maintiens la paix pour ton bien-être et celui de ton peuple. Ne tire jamais l'épée sauf contre ceux qui commettent des injustices. Quel plaisir y a-t-il à envahir et à ravager des nations, à porter le pillage et la destruction jusqu'aux confins de la terre ?" (Cité dans l'excellente B.D. "La bibliomule de Cordoue",  par Wilfrid Lupano et Léonard Chemineau, éd.  Dargaud). Et Don Quichotte, à l'inverse, excuse la violence au nom du Christ :  "Il n'y a que quatre choses pour lesquelles les républiques bien gouvernées et les hommes prudents doivent prendre les armes et tirer l'épée, exposant leurs biens et leurs personnes. La première, c'est la défense de la foi catholique ; la seconde, la défense de leur vie, qui est de droit naturel et divin ; la troisième, la défense de laur honneur, de leur famille et de leur fortune ; la quatrième, le service de leur roi dans une guerre juste." (Traduction Louis Viardot)

Dieu amour ? Mais nous sommes aussi prisonniers des acceptions contemporaines du mot amour. Je devrais peut-être écrire l'ébauche d'une histoire de l'amour, comme j'ai publié une histoire de l'âme (article "Les femmes ont-elles une âme ?). On passerait par Denis de Rougemont (L'Amour et l'occident) qui montre l'invention de l'amour courtois au Moyen-âge, par Elisabeth Badinter (L'Amour en plus) qui montre l'invention de l'amour maternel au XXe siècle... Hors sujet ? Mais voyons ce que dit Saint Augustin de l'amour, aux temps du christianisme de conquête, pour ne pas dire de jihad. Je cite ici l'excellent Bruno Dumézil (Les Racines chrétiennes de l'Europe - conversion et liberté dans les royaumes barbares, Ve-VIIIe siècle, Fayard, 2005). "Il avait découvert que la 'tolérance', il emploie le mot, est un mal, car elle détourne de la charité qui pousse à corriger les donatistes. A l'inverse, l'évêque d'Hippone en venait à considérer que la contrainte était le corollaire naturel de la charité, et même de l'amour (...). De tout cela, Augustin déduisait que l'usage (...) d'une législation contraignante était non seulement licite, mais souhaitable (...). Combien de fois n'avait-il pas entendu les cris de joie des persécutés, qui (...) n'attendaient qu'une occasion favorable pour [se convertir], occasion généreusement offerte par la terreur suscitée par les lois impériales ?" 

Jugeons donc davantage sur les pratiques comparées que sur les idéologies. Les premiers siècles de l’Islam ont été des temps de conquêtes, et les reliques des premiers califes, exposées au musée de Topkapi à Istanbul, sont leurs sabres. Les premiers siècles du christianisme ont été des temps de persécutions, et les reliques sont celles de martyrs. La violence à l'origine du christianisme est une violence subie, avant d'être exaltée. Cela fait une importante différence, oui. On admettra sans mal que cette différence ne se prolonge pas dès que le christianisme devient la religion dominante. Dès lors, que de guerres saintes, de massacres, d’oppressions, de tortures, de génocides et de tyrannies au nom du dieu d’amour, qui est toujours aussi le dieu des armées. Dieu le veut ! Gott mit uns ! In God we trust...

Psaume 136 :
"Il tua les premiers-nés des Egyptiens
Car éternel est son amour !"

On peut encore renvoyer dos à dos les deux grandes religions occidentales, mais trouver dignes d’admiration les religions orientales, célèbres pour leur compassion et leur respect de la vie. Il y aurait pourtant encore bien des choses à dire sur les bonzes bénissant les kamikazes japonais puis les bombardiers américains au Vietnam, sur la persécution meurtrière des Tamouls à Ceylan (ou Sri Lanka), le génocide des Rohingyas en Birmanie. Le seul peuple bouddhiste d'Europe, le peuple Kalmouk, n'est pas arrivé là de façon pacifique. Les arts martiaux sont très zen (lol). En 1995, l'attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo, qui a fait 13 morts et 6300 blessés, était l'oeuvre d'une secte bouddhiste, Aum Shinrikyô. Côté hindouisme, la non-violence de Gandhi et le respect des vaches ne doivent pas faire illusion : les textes sacrés sont très guerriers, de même que certains dieux importants (Indra, Krishna). Et l'Inde est aujourd'hui un pays qui persécute ouvertement et impunément les Musulmans et les Chrétiens, au nom d'une prétendue identité hindoue. Sans parler de la condition des femmes, moins sacrées que les vaches.

On peut donc aussi court-circuiter cet argument médiocre, et juger que toutes les religions sont, soit néfastes, soit capables de fanatismes condamnables, et opter pour l’athéisme. Mais celui-ci ne nous sauve pas de la violence. Les Etats athées n’ont pas été moins persécuteurs, conquérants ni massacrants que les Etats cléricaux. Les persécutions actuelles de la Chine contre les bouddhistes tibétains et les musulmans ouighours nous le rappellent.

Et n'éxonérons pas nos républiques du péché originel de violence. La première est née d'une révolution violente, et sa pratique de la terreur est éponyme : elle a inventé le terrorisme d'Etat. La troisième se fonde dans le sang de la Commune.

Conclusion ? En schématisant, ce n’est pas l’islam qui est violent, c’est l’idée au pouvoir, quelle qu’elle soit. Il ne reste à défendre que la laïcité, malgré le contre-exemple de Gengis Khan !

La violence révolutionnaire

Comme l’évoque le hadith cité plus haut, l’Islam peut aussi servir à justifier des violences révolutionnaires. On peut évidemment rappeler que le droit de résistance à l’oppression est un des droits fondamentaux énoncés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Même les Ibadites admettent la légitimité de la résistance aux sultans injustes. Historiquement, les deux révolutions qu’ils ont effectuées se sont faites sans effusion de sang. De combien de révolutions peut-on le dire ? La résistance à l’oppression ne peut pas être toujours non-violente, le savent bien tous ceux qui ont été traités de terroristes parce qu’ils luttaient contre un occupant étranger ou contre un régime dictatorial.

La comparaison avec le christianisme s’impose pour analyser les islams comme religions. Elle nous aide à les historiciser et en relativiser les aspects qui peuvent nous sembler dogmatiques ou obscurantistes. Le christianisme en général, et le catholicisme en particulier, ont connu les mêmes travers, il n’y a pas si longtemps.
Pour effectuer le même travail en ce qui concerne l’islamisme, c’est-à-dire la conception politique totalitaire de l’islam, la comparaison avec les marxismes est plus efficace.

Danièle Hervieu-Léger montrait dès 1973 (De la mission à la protestation, Cerf) comment les étudiants catholiques, participant au mouvement de mai 1968, avaient établi des correspondances entre les thèmes religieux et les thèmes politiques : à la Rédemption correspondait la libération de l’oppression, au Royaume de Dieu correspondait la société sans classes… Des correspondances analogiques du même ordre sont fondées à s’établir entre islam et révolte sociale. La lutte des classes est remplacée par une lutte des religions, et la fin de l’Histoire sera réalisée par l’islamisation du monde entier. Les discours schématisés du marxisme et de l’islamisme se superposent.

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Combien de phrases de Che Guevara pourraient-elles être reprises par les islamistes, en remplaçant seulement les mots révolution et socialisme par jihad et islam ? « Le révolutionnaire se consume dans cette tâche ininterrompue qui ne se termine qu’avec sa mort, à moins que la construction du socialisme n’aboutisse dans le monde entier. » Et : « Comme nous pourrions regarder l’avenir proche et lumineux si deux, trois, plusieurs Vietnam fleurissaient sur la surface du globe, avec leur part de morts et d’immenses tragédies, avec leur héroïsme quotidien, avec leurs coups répétés à l’impérialisme, avec pour celui-ci l’obligation de disperser ses forces, sous les assauts croissants des peuples du monde ! » Enfin : « Qu’importe où nous surprendra la mort ; qu’elle soit la bienvenue pourvu que notre cri de guerre soit entendu, qu’une autre main se tende pour empoigner nos armes, et que d’autres hommes se lèvent pour entonner les chants funèbres dans le crépitement des mitrailleuses et des nouveaux cris de guerre et de victoire… »

Qui aujourd’hui profère de telles incantations mobilisatrices ? Qui propose non seulement de lutter contre les injustices, mais aussi pour un changement qualitatif de société ?

Les révoltés des banlieues

A-t-on perdu la mémoire ? Les sociologues font des rapprochements avec les jeunes des années 1960-1970, qui voulaient aussi une rupture radicale avec la pensée dominante. Les islamistes pourraient prendre à leur compte ces mots de Daniel Cohn-Bendit (qui a droit à tout mon respect) : « La révolution qui commence remettra en cause non seulement la société capitaliste mais la civilisation industrielle. La société de consommation doit périr de mort violente. La société de l’aliénation doit périr de mort violente… » (14 mai 1968).

La révolte précède l’idéologie. C’était déjà le cas dans les années de notre jeunesse, c’était déjà le cas des révolutionnaires de tout temps, y compris de Marx, de Mao ou de Castro. L’idéologie se construit a posteriori pour justifier la révolte, la théoriser, l’argumenter. Elle permet de mobiliser, de rassembler les révoltés épars et de les transformer en un parti qui puisse canaliser la violence et la diriger vers des objectifs stratégiques communs, au lieu de la gaspiller dans les émeutes inutiles où brûler des voitures et des poubelles.

La violence des banlieues n’est pas d’abord musulmane. En fait, elle n’est pas du tout musulmane. On peut incriminer l’urbanisme mortifère ou le chômage massif. L’islam, au contraire, y est un facteur d’intégration et, le plus souvent, de pacification. Faut-il lui demander de pousser à la résignation, de remplir le rôle d’opium du peuple qui était selon les marxistes, celui des religions ? Est-ce à souhaiter ?

Ce qui est premier, c’est bien la révolte. La même. Ceux qu’abominent les islamistes sont les mêmes contre qui Che Guevara appelait à créer « deux, trois, plusieurs Vietnam ». Les social-nationalismes areligieux qui ont dominé les pays musulmans pendant les trente ans qui ont suivi leur indépendance (de Bourguiba à Sukarno en passant par Nasser et Saddam Hussein) ont échoué, comme ont échoué les partis qui en occident se réclamaient du marxisme, comme le stalinisme s’est dissous dans un capitalisme sauvage aux mains des anciens apparatchiks et kolkhoziens enrichis. L’ennemi reste le « système » du capitalisme mondial, qu’il soit libéral ou post-communiste, son accaparement des richesses par quelques-uns aux dépens du plus grand nombre, l’aggravation mondiale des pauvretés sous l’effet de l’évolution climatique causée par l’économie industrielle… Dans les banlieues de la République, où quotidiennement se vivent les violences de l’exclusion économique et du rejet xénophobe, la révolte des jeunes générations ne manque pas de bonnes raisons.

Mais au nom de quoi ? Qui, dans les banlieues sinistres frappées par le chômage et le trafic de drogues, qui de nos jours propose une utopie, une identité révolutionnaire fière d’elle-même ? Ce que nos théoriciens appelaient la « conscience de classe », et que la classe ouvrière ne détient plus, à l’évidence ? Dans ces mêmes banlieues où le Parti Communiste remplissait cet office il y a cinquante ans ? L’islamisme a devant lui le boulevard abandonné par la gauche. Ils sont mal fondés à critiquer, nos extrémistes politiques, qu’ils viennent de la droite fascisante ou de la gauche révolutionnaire. Il est assez étrange que d’anciens trotskystes, qui ont défendu l’internationalisme prolétarien et qui ont prôné révolution et dictature du prolétariat, reprochent aujourd’hui à l’islam d’être contraire à l’identité française et de prôner la violence. Est-ce une manifestation de repentance ?

Refuser la violence

L’islamophobie remplace presque l’anticommunisme d’il y a quelques décennies. A la crainte des chars russes, que j’ai souvent entendue dans mon jeune âge, s’est substituée la peur du terrorisme. Pas complètement cependant. Car l’islamophobie est aussi un prétexte pour draper du manteau pudique d’une pseudo-laïcité le discours xénophobe, devenu par trop politiquement incorrect et même délictueux. Manière de tourner la loi.

Les banlieues souffrent d’abord d’un manque d’intégration. Les enfants de Musulmans qui y vivent souffrent d’une violence sociale. Et l’islamophobie répond avec une nouvelle violence à la violence supposée de ceux à qui l’on a fait violence. Il est fondé de refuser la violence, mais à chacun de commencer par la sienne propre. Après avoir "accueilli" avec violence les Musulmans, est-on en droit de prétexter qu’ils sont plus violents que nous pour leur prouver le contraire par notre attitude ?

Ceux qui condamnent l’islam sous prétexte de sa violence innée font eux-mêmes preuve de violence. Est-il plus violent de porter un voile ou d’insulter celle qui le porte ? Si l'on condamne les violences, condamnons-les toutes. L’islamophobie en est une.

L’islam contient des germes innés de violence. Les autres religions et idéologies aussi. Les Musulmans ont acquis une histoire violente. Les autres, pas moins. Nous n’avons aucune leçon à donner. Bien des violences commises au nom de l’islam sont aussi compréhensibles, sinon pardonnables, que les autres résistances et révolutions, sociales ou ethniques, contre les oppressions coloniales, politiques, économiques, religieuses. 

Comment lutter ? Après tout, il n’est pas exclu que l’économique soit déterminant en dernière instance ! Si c’était vrai… Vous voulez lutter contre l’islamisme ? Luttez pour la justice et pour l'intégration. Faites confiance à l’école et à l’université, à la vie associative, à la langue française, à l'exemplaire fraternité de notre accueil des immigrés (lol), à la tolérance religieuse… pour faire évoluer les modes de pensée des Musulmans sans toucher à leur foi.

Et le terrorisme islamique passera, comme a passé le terrorisme gauchiste. Mais si on n’a plus ni la chrétienté, ni le communisme, ni l’islam, il faudra peut-être inventer une nouvelle utopie. Il y a déjà des éco-terroristes, l’avenir est à eux.

 

Suite (cliquer sur le titre du chapitre choisi) :

3. Le voile islamique : Ubu roi

4. Histoire et avenir de la laïcité

5. L'Islam existe-t-il ?

6. Bibliographie et hyphographie

 

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